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L’avarice des vainqueurs couvrit l’Italie de chefs-d’œuvre de la Grèce, enlevés par la force aux temples, aux cités dont ils faisoient l’ornement, et dont ils consoloient l’esclavage ; mais les ouvrages d’aucun Romain n’osèrent s’y mêler. Cicéron, Lucrèce et Sénèque écrivirent éloquemment dans leur langue sur la philosophie ; mais c’étoit sur celle des Grecs : et pour réformer le calendrier barbare de Numa, César fut obligé d’employer un mathématicien d’Alexandrie.

Rome, long-temps déchirée par les factions de généraux ambitieux, occupée de nouvelles conquêtes, ou agitée par les discordes civiles, tomba enfin de son inquiète liberté dans un despotisme militaire plus orageux encore. Quelle place auroient donc pu trouver les tranquilles méditations de la philosophie ou des sciences, entre des chefs qui aspiroient à la tyrannie, et bientôt après sous des despotes qui craignoient la vérité, et qui haïssoient également les talens et les vertus ? D’ailleurs, les sciences et la philosophie sont nécessairement négligées, dans tout pays où une carrière honorable, qui conduit aux richesses et aux dignités, est