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Mais l’Académie déclara que, comme Titien n’avoit pas également possédé toutes les parties de la peinture, il falloit s’arrêter à celle où il avoit excellé, et dont M. de Champaigne avoit fort bien su faire le discernement ; et, ajoutant ses avis à tout ce qu’il avoit remarqué, elle dit que l’on devoit donc principalement admirer dans cet ouvrage l’artifice des couleurs et en considérer la belle harmonie. Que cette harmonie ne procédoit que de leur arrangement ; qu’ainsi il falloit remarquer que si Titien a vêtu de laque un de ceux qui portent le corps mort, c’est pour faire paroitre ce corps plus pâle et plus défait, et pour en faire fuir la tête et les épaules. Et parce que les jambes du Christ sont éclairées, il a donné à l’autre figure qui les soutient un vêtement vert brun pour leur servir de fond.

Qu’il falloit encore observer la différence qu’il y a entre la carnation de ce corps et celle des disciples qui le soutiennent, que Titien a exprès tenu d’une couleur plus forte et plus rouge ; et que ce linceul qui enveloppe les pieds et les cuisses sert, par sa blancheur, à les faire paroitre d’une couleur plus éteinte et plus morte, et à les faire sortir hors du tableau. Mais surtout qu’on devoit prendre garde comme ce peintre passe d’une couleur à une autre avec une douceur et une tendresse admirable ; car entre cet habit vert et le manteau bleu de la Vierge, on voit le vêtement de la Madeleine qui est jaune, mais dont les bruns sont rompus, et tiennent des différentes couleurs qui l’environnent et ainsi une couleur ne tombe pas tout d’un coup du vert au bleu, ni du vert au jaune ; car, bien que la manche de la Madeleine soit d’un jaune fort vif et proche de l’habit vert de Nicodème, Titien a bien su séparer ces deux couleurs en retroussant la manche de Nicodème contre le jaune, et faire que de l’ombre des unes l’on passe à l’ombre des autres en sorte que les couleurs vives ne tranchent pas sur celles qui ont autant de vivacité, ou qui sont autant éclairées, observant toujours cette maxime qui lui a été particulière de faire de grandes masses de brun et de grandes masses de clair.

C’est encore pour conserver cette même harmonie de couleurs et cette belle union de teintes que saint Jean est vêtu d’un manteau rouge, relevé d’un peu de jaune sur les clairs.