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dans tous les autres membres de cette statue les nerfs et les muscles y forment les principales apparences, et pourquoi la chair y paroît retirée, et les veines même moins remplies et moins évidentes ; l’on dit que la peur et la tristesse jointes à une douleur très grande, rétrécissant les orifices du cœur, font que le sang coule plus lentement dans les veines, et que devenant plus froid et plus condensé il occupe beaucoup moins de place.

Qu’outre cela presque tout le sang du corps se retirant par la crainte aux environs du cœur, les parties qui en sont privées deviennent pâles, et la chair moins solide, particulièrement au visage, où le changement est d’autant plus visible que la peur est plus grande et plus imprévue ; qu’ainsi comme les membres manquent de chaleur par le défaut du sang, on voit que la tête de Laocoon penche sur les épaules, ce qui ne marque pas moins sa foiblesse et la douleur qu’il ressent, que l’action d’un homme accablé de misère qui veut implorer l’assistance du ciel.

Enfin cette statue est si accomplie que tout le monde demeura d’accord que c’est sur ce modèle que l’École de Rome, qui a produit tant de grands personnages, a puisé comme dans une source très pure la plus grande partie de ses belles connoissances. Et les peintres qui travailloient du temps de Raphaël et de Jules Romain, ne se lassant jamais de considérer cet ouvrage, et d’en faire leur principale étude, donnèrent lieu à Titien d’en faire une raillerie lorsqu’il fut à Rome. Car étant, comme tous les autres peintres de Lombardie, plus amoureux de la beauté du coloris que de la grandeur du dessin, et se moquant de cette affection si particulière que les peintres de Rome témoignoient avoir pour cette statue, il fit un dessin que l’on voit gravé en bois, où, sous la figure d’un singe avec ses deux petits, il représenta l’image de Laocoon. Voulant faire entendre par là que les peintres qui s’attachoient si fort à cette statue n’étoient que comme des singes, qui, au lieu de produire quelque chose d’eux-mêmes, ne faisoient qu’imiter ce que d’autres avoient fait avant eux.

Si la figure qu’on avoit exposée dans l’Académie eût été semblable à l’original, l’on eût trouvé de quoi s’entretenir plus longtemps, et avec plus de plaisir et d’utilité ; mais comme