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sortes de modes et de tous pays ; il a trop de soin de la bienséance, et sait de quelle sorte il faut garder cette partie du costume, non moins nécessaire dans les tableaux d’histoire que dans les poèmes. C’est pourquoi l’on voit qu’il ne manque point à cela, et qu’il se sert de vêtements conformes au pays et à la qualité des personnes qu’il représente.

Ainsi il fit remarquer que, comme parmi ce peuple, il y en avoit de toutes conditions, et qui avoient plus fatigué les uns que les autres, ces figures ne sont pas régulièrement vêtues d’une semblable manière. On en voit qui sont à demi nues, comme celle de ce vieillard qui regarde cette charitable fille qui allaite sa mère. Il observa qu’encore que les plis du manteau de ce vieillard soient grands et libres et qu’il soit d’une grosse étoffe, on ne laisse pas néanmoins de voir le nu de la figure. Cette espèce de caleçon que les anciens appeloient bracca, qui lui couvre les cuisses et les jambes, n’est pas d’une étoffe pareille à celle du manteau, elle souffre des plis plus petits et plus pressés ; cependant les jambes ne paroissent point serrées, et l’on voit toute la beauté de leurs contours.

La condition des personnes est particulièrement distinguée par la beauté des vêtements dont quelques-uns sont enrichis de broderies ; et les autres, plus grands et plus amples, donnent davantage de majesté aux figures qui en sont vêtues.

Pour ce qui regarde la perspective du plan de ce tableau, M. le Brun fit voir qu’elle y est parfaitement observée, et que M. Poussin, ayant représenté un lieu rempli de montagnes et dont la situation est tout à fait inégale, il s’est servi des terrasses les plus élevées pour y placer ses figures, ce qui donne plus de jeu et de variété à la disposition entière de toutes les personnes qui composent son ouvrage. Et même cela lui a servi à faire voir une plus grande multitude de monde dans un petit espace, et à poser avantageusement les figures de Moïse et d’Aaron, qui sont comme les deux héros de son sujet.

Quant à l’épanchement de la lumière, ayant représenté un air épais et chargé des vapeurs du matin, il a davantage précipité les diminutions de ses figures éloignées, et les a affoiblies autant par la qualité que par la force des couleurs, pour faire avancer celles de devant, et les faire éclater avec plus de vivacité par la lumière qu’elles reçoivent avec plus de force