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Qu’une plus grande quantité de figures n’eût causé que de l’embarras, et empêché que celles du Christ et des aveugles n’eussent pas été vues si distinctement.

Mais qu’outre toutes ces raisons, il falloit considérer que M. Poussin n’ayant eu d’autre intention que de représenter Jésus-Christ qui guérit deux aveugles ; il suffit de bien exprimer la grandeur de ce miracle, toutes les autres choses qu’il a omises n’étant que des accessoires de nulle importance et qui ne servant de rien à l’accomplissement de cette guérison, pouvoient cependant causer de la confusion et gâter la beauté de l’ordonnance.

Qu’il est certain que dans une disposition de tableau, plus il y a de figures, et plus les yeux de ceux qui le regardent trouvent d’objets qui les arrêtent. Que, le peintre voulant fixer entièrement la vue des spectateurs sur le Christ pour faire observer son action, il lui a été plus avantageux de le représenter accompagné de peu de monde, afin que ceux qu’il a peints autour de lui étant attentifs à le considérer, contribuassent en quelque sorte à faire que ceux qui verront cet ouvrage le soient de même, sans se trouver distraits par d’autres mouvements et par d’autres expressions, qu’il auroit été obligé de faire dans la composition d’un plus grand nombre de figures.

Qu’il falloit donc admirer M. Poussin d’avoir si bien représenté cette histoire, qu’il n’y a rien qui ne convienne très parfaitement à son sujet, non seulement dans les actions des figures, mais même dans la disposition du lieu, dans les jours et dans les ombres.

Que l’on connoît assez que cette guérison des aveugles est celle dont saint Matthieu fait mention au chapitre xx, puisque l’on voit ces beaux bâtiments de Jéricho, et même cette fontaine dont il est parlé dans l’Écriture sainte. Mais que ce qui est de plus rare et de plus merveilleux dans cet ouvrage, c’est que Jésus-Christ allant donner la lumière à ces deux aveugles et répandre la joie dans leur âme, on voit que le peintre a aussi répandu dans son tableau un certain caractère d’allégresse et une beauté de jour qui fait une expression générale de ce qu’il veut figurer par son action particulière et cette joie qu’il communique si bien à toutes ses figures est la cause de celle qu’on reçoit en les voyant.