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troublée par ce petit détail qui est contraire à nos manières de combattre. Pourra-t-on dire avec justice que l’histoire sacrée et la profane aient reçu une atteinte quand d’un côté on aura négligé de parler de l’éléphant, et que de l’autre côté on aura retranché la représentation des chameaux ? Pour mieux autoriser cette opinion, M. le Brun y joignit encore un exemple digne de vénération et dit que d’ordinaire, en représentant Jésus-Christ mourant sur le Calvaire on n’y faisoit paroître que cinq figures, et trois le plus souvent, quoiqu’il soit bien constant qu’il y vint alors de Jérusalem une foule d’autant plus grande que la solennité de la fête de Pâques y avoit attiré presque tout le peuple de la Judée.

En cette occasion les peintres ne peuvent pas supposer avec vraisemblance que la multitude regardoit de loin le spectacle, car qui auroit empêché qu’elle n’approchât, et n’est-il pas bien apparent que la foule des juifs déjà prévenue de la vie prodigieuse de Jésus-Christ, et curieuse d’en voir la fin, environnoit de tous côtés le pied de la croix ? Mais les peintres ont sagement considéré que s’ils étaloient un embarras si énorme, ils satisferoient mal la piété des personnes contemplatives, parce que tant de divers objets interromproient leurs méditations et leur ferveur.

Quoique ces raisons eussent satisfait la plus grande partie de l’assemblée, il y eut encore quelques partisans de M. de Champaigne qui s’opiniâtrèrent à soutenir que l’histoire de Rébecca eût été plus intelligible en y représentant du moins trois ou quatre chameaux, et que M. Poussin ne l’ayant pas observé, il n’y avoit personne qui ne prît le serviteur d’Abraham pour un marchand qui cherche à vendre ses joyaux et qui va les montrer. Mais M. le Brun tourna les armes de ses censeurs contre eux-mêmes, et, leur faisant considérer que les chameaux servent de voiture ordinaire aux marchands du Levant, il leur dit que tout au contraire si on représentoit quelques-uns de ces animaux auprès du serviteur d’Abraham, ce seroit le vrai moyen de le faire prendre pour un marchand forain, qui, chemin faisant, exerce son trafic auprès de ces filles, et qu’ainsi le peintre, en supprimant cette circonstance, avoit détourné l’erreur où l’on seroit tombé, s’il eût observé ce que les critiques souhaitoient de son pinceau. Il ajouta que de quelque