Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/103

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sa foi, son espoir, son arme et son bouclier. Il fut tué deux ans plus tard, dans un laboratoire secret, par l’explosion prématurée d’un de ses détonateurs perfectionnés.

Je redescendis au galop, pour assister, dans la pénombre de la grande cave, à une scène impressionnante. L’homme qui tenait le rôle d’officier de police (ce n’était pas une nouveauté pour lui), parlait d’une voix brutale, et donnait, pour la translation de ses prisonniers, des ordres fictifs à ses faux subordonnés. Évidemment on n’avait encore obtenu aucune révélation. Taciturne et sombre, Horne gardait les bras croisés, et son attitude patiente et morose avait un air de stoïcisme bien adapté à la situation. J’aperçus dans l’ombre un camarade qui mastiquait et avalait subrepticement un petit morceau de papier. Une note compromettante sans doute ; peut-être une liste de noms et d’adresses. C’était un vrai et fidèle compagnon. Mais le fonds de malice cachée qui se tapit au fond de nos sympathies les plus vraies, m’inspira une ironie secrète pour cet inutile exploit.

Au surplus, le dangereux stratagème, le coup de théâtre, s’il vous plaît de l’appeler ainsi, semblait avoir fait long feu. On ne pouvait soutenir beaucoup plus longtemps la fraude, et l’explication risquait d’amener une situation embarrassante, où même grave. Le mangeur de papier serait furieux, et les camarades qui avaient pris la fuite nous en voudraient aussi.

Pour ajouter à mon ennui, la porte communiquant avec l’autre cave, où étaient installées les presses, s’ouvrit brusquement, pour livrer passage à notre jeune dame révolutionnaire, noire silhouette en robe collante et en grand chapeau, détachée sur une lumière vive de gaz. Par dessus son épaule, je distinguais les sourcils arqués, et la cravate rouge de son frère. C’étaient bien les derniers personnages au monde dont je souhaitasse