Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.



GASPAR RUIZ

I

La guerre civile fait émerger bien des caractères étranges de l’obscurité qui est le lot commun des humbles existences, dans l’état ordinaire des sociétés.

Certains individus conquièrent la gloire par leurs vices, leurs vertus, ou simplement par des actions qui peuvent avoir une importance passagère, puis sombrent dans l’oubli. Les noms de quelques chefs survivent seuls à la fin des conflits, pour appartenir à l’histoire ; ils échappent à la mémoire active des hommes pour vivre dans les livres.

Le nom du général Santierra a conquis cette froide immortalité livresque. C’était un Sud-Américain de bonne famille, et les ouvrages publiés de son vivant le rangent au nombre de ceux qui arrachèrent un continent à l’étouffante domination de l’Espagne.

La longue guerre menée d’un côté pour l’indépendance et de l’autre pour l’oppression, finit par prendre, avec le cours des années et les vicissitudes de la fortune, la violence et l’inhumanité d’une lutte pour la vie. Tout sentiment de douceur ou de compassion fut étouffé sous la haine politique. Et comme il arrive toujours à la guerre, c’est la masse du peuple qui, ayant le moins à attendre de son issue, souffrit le plus dans son obscurité et son humble fortune.