L’un d’eux, le menton étayé sur les genoux, regardait dans le vide d’une manière intolérable et effrayante : son frère fantôme se soutenait le front comme accablé d’un intense ennui, et à l’entour, d’autres encore étaient dispersés, dans toutes les attitudes de l’effondrement et de la contorsion, ainsi qu’on en voit dans certains tableaux de massacre ou de peste. Tandis que je demeurais saisi d’horreur, l’un de ces êtres se dressa sur les mains et les genoux, et se dirigea vers le fleuve à quatre pattes, pour y boire. Il lapait l’eau dans le creux de sa paume. Ensuite, il s’assit au soleil, les tibias croisés devant lui et au bout d’un instant laissa tomber sa tête laineuse sur sa poitrine.
« J’avais perdu toute envie de flâner à l’ombre et je repris vivement le chemin de la station. Près des bâtiments, je rencontrai un homme blanc d’une élégance apprêtée si inattendue que tout d’abord je le pris pour une vision. J’apercevais un col droit empesé, des manchettes blanches, un veston d’alpaga léger, un pantalon immaculé, une cravate claire et des chaussures cirées. Pas de chapeau, mais sous le parasol doublé de vert qu’élevait une forte main blanche, des cheveux bien brossés, huilés, avec une raie au milieu. Il était déconcertant et il avait un porte-plume derrière l’oreille.
« J’échangeai une poignée de main avec ce miracle et j’appris qu’il était le chef comptable de la