Page:Conscience - Le Lion de Flandre, 1871.djvu/234

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demeure ; car maintenant Bruges vaincue était un cachot dont l’air l’étouffait. Cette noble et généreuse douleur ne le quittait pas un moment, et ses frères ne pouvaient le consoler ni l’émouvoir. Dans les yeux des Français, il croyait lire comme un reproche ce mot injurieux :

— Esclave.

Un matin, il était dans sa boutique de très-bonne heure, et, considérant ses rêveries de la nuit, il appuyait sa main gauche sur un trochet ; son regard vague s’égarait entre les morceaux de viande qui pendaient le long de la muraille ; mais il ne les voyait pas, car son âme était absorbée par d’autres pensées. Il resta ainsi quelque temps immobile ; sa main droite, sans le savoir, avait pris une hache plus grande que les autres ; aussitôt que l’acier étincelant tomba sous son rayon visuel, un sourire imperceptible parcourut ses traits courroucés, et il contempla longtemps le fer homicide. Tout à coup sa physionomie devint sombre et triste ; il regarda avec égarement autour de la boutique, et cette plainte tomba lentement de ses lèvres :

— C’est fini : plus d’espoir de délivrance !… Nous devons courber la tête et pleurer sur notre patrie subjuguée. Les Français triomphants courent journellement par la ville, insultant tout le monde, méprisant tout le monde… et nous, nous Flamands, il nous faut le souffrir, le supporter. Ô dieu ! qu’il est cruel, le serpent du désespoir qui me ronge le cœur !