Page:Conscience - Le Lion de Flandre, 1871.djvu/333

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Mais, tout à coup, en dépit des gardes, il se fit un grand mouvement dans la foule. Poussés par une pression irrésistible, les uns reculèrent jusque contre les murs des maisons, les autres furent refoulés en avant : un jeune homme aux bras nus fendit la foule et pénétra jusqu’à l’espace maintenu libre sur le marché ; sa physionomie accusait la plus profonde émotion, la plus ardente colère et la crainte la plus vive. Dès qu’il eût échappé à l’étreinte de la foule, il promena sur le marché un regard égaré, s’élança en avant comme une flèche, et s’écria :

— Mon père ! ô mon père, tu ne mourras pas !

En disant ces mots, il escalada l’échafaud, tira du fourreau son poignard et l’enfonça jusqu’à la garde dans la poitrine du bourreau. Celui-ci, précipité au bas de l’échelle en poussant un cri de douleur, mourant, baigné dans son sang. Pendant ce temps le jeune klauwaert étreignait son père, le soulevait du sol, et se perdait dans la foule avec ce fardeau sacré. Les Français, attérés, étaient restés spectateurs immobiles de cette scène, mais cela ne dura pas longtemps. Messire de Châtillon les tira bientôt de leur stupéfaction. Avant que le jeune homme eût fait dix pas, il se vit arrêté par une vingtaine de soudards ; il déposa son père sur le pavé, et menaça ses ennemis de son couteau encore fumant. Une cinquantaine d’autres Flamands se trouvaient en avant de lui ; car, comme nous l’avons dit, il était au milieu du peuple, si bien que les soudards devaient percer la foule