Page:Conscience - Le Lion de Flandre, 1871.djvu/405

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yeux caves et cernés. Il se demandait si cette ombre humaine était ou non Mathilde, quand un frisson glacial parcourut tout à coup ses membres ; tout son sang reflua vers son cœur et il devint plus pâle que la blanche robe de sa bien-aimée. Ses bras s’affaissèrent lourdement, et, l’œil opiniâtrement fixé sur les traits altérés de Mathilde, il resta immobile comme si la foudre l’eût frappé et ne garda qu’un instant cette attitude de statue ; il baissa soudain les yeux et versa un torrent de larmes amères. Néanmoins il ne prononça pas un mot ; pas une plainte, pas un soupir ne monta à ses lèvres ; peut-être eût-il longtemps pleuré dans le silence du désespoir, car son cœur était trop fortement oppressé par la douleur, pour qu’il pût le soulager par des paroles ; mais sa sœur Marie, qui jusque-là s’était contenue par respect pour Mathilde, se jeta au cou de son frère bien-aimé et le rappela à lui en couvrant ses joues de tendres baisers et en lui prodiguant mille marques d’affection.

La jeune comtesse contemplait avec une profonde émotion cette effusion de tendresse fraternelle : elle se mit à trembler et fut frappée du plus grand abattement. La pâleur qui couvrait le visage d’Adolphe, le saisissement qui s’était emparé de lui, tout lui disait : — tu es affreuse, tes joues décharnées inspirent l’effroi, ton regard terne et éteint épouvante et repousse, et a fait frémir jusqu’à l’homme même auquel tu donnes le nom de frère !

Sous le coup de ce sombre désespoir, elle sentit