Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/17

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une heure et j’ai déjà visité vingt maisons de pauvres. J’y ai vu une misère, chère Adèle, mais une misère à briser le cœur. La faim, le froid, la maladie, le dénûment… c’est inouï. Oh ! je m’estime heureuse d’être riche, car c’est une bien douce jouissance que de faire le bien !

— On dirait que tu vas pleurer, Anna ! Je vois des larmes dans tes yeux ; ne sois donc pas si sensible. Assurément les pauvres gens ne sont pas si à plaindre cet hiver ; vois que de distributions on fait. Charbon, pain, pommes de terre, tout est donné en abondance. Hier encore j’ai souscrit pour cinquante francs, et je te dirai que j’aime mieux laisser répartir mon argent par d’autres qu’aller moi-même dans toutes ces vilaines maisons.

— Adèle, tu ne connais pas les pauvres. N’en juge pas par ces vilains mendiants déguenillés, qui considèrent la quête des aumônes comme un bon métier, et déchirent et souillent avec intention leurs vêtements pour inspirer l’horreur ou la pitié. Viens avec moi. Je te montrerai des ouvriers dont les habits ne sont pas en lambeaux, dont le logis n’est pas un bouge malpropre, et dont la bouche ne s’ouvrira pas pour demander, mais seulement pour remercier et pour bénir. Tu verras l’horrible faim peinte sur leurs traits, le pain noir et glacé dans les doigts engourdis des enfants, les pleurs de la mère, le sombre désespoir du père… Oh si tes yeux contemplent ce muet tableau d’affliction et de souffrances, quelle céleste joie ne trouveras-tu pas à changer tout cela avec un peu d’argent… Tu verras les pauvres petits enfants se pen-