Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/210

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sa mère ? Que dirai-je, moi, son grand-père ? Nous l’avons élevé à la sueur de notre front ; nous l’aimons comme la prunelle de nos yeux. Maintenant nous sommes vieux et cassés ; il doit travailler pour nous dans nos mauvais jours… et si Dieu, hélas ! n’a pas envoyé son bon ange pour conduire sa main… il lui faudra être soldat, nous délaisser dans notre misère…

Ces paroles firent fondre en larmes la jeune fille. Elle répondit avec une sorte de reproche :

— Cela n’est rien, grand-père ; j’ai des bras aussi, et si vous ne le pouvez plus, je mènerai bien moi-même le bœuf aux champs et ferai à moi seule tout le gros ouvrage ; mais lui ! mais Jean ! oh ! le pauvre garçon ! N’entendre que jurer et blasphémer, recevoir des coups, être mis dans un cachot, souffrir de la faim, et se consumer de chagrin comme le malheureux Paul Stuyck, qu’ils ont fait mourir en quatre mois. Et ne plus voir personne de tous ceux qui l’aiment sur la terre, ni vous, ni sa mère, ni son petit frère, ni… personne autre que ces grossiers et méchants soldats !

— Ne parle pas ainsi, Trine, dit le vieillard d’une voix altérée, tes paroles me font mal. Pourquoi te lamenter si amèrement ? Tu te désoles et tu trembles comme si tu ne doutais pas de son malheur ; moi, au contraire, j’ai un pressentiment qui me fait penser qu’il a tiré un bon numéro ; j’ai confiance dans la bonté de Dieu.

Un imperceptible sourire passa à travers les larmes de la jeune fille ; cependant elle ne répondit plus rien, et tous deux continuèrent à marcher en silence jusqu’au village.