Page:Constant - Adolphe.djvu/148

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Ellénore la privation de tous les succès auxquels j’aurais pu prétendre. Ce n’était pas une carrière seule que je regrettais : comme je n’avais essayé d’aucune, je les regrettais toutes. N’ayant jamais employé mes forces, je les imaginais sans bornes, et je les maudissais ; j’aurais voulu que la nature m’eût créé faible et médiocre, pour me préserver au moins du remords de me dégrader volontairement. Toute louange, toute approbation pour mon esprit ou mes connaissances, me semblaient un reproche insupportable : je croyais entendre admirer les bras vigoureux d’un athlète chargé de fer au fond d’un cachot. Si je voulais saisir mon courage, me dire que l’époque de l’activité n’était pas encore passée, l’image d’Ellénore s’élevait devant moi comme un fantôme et me repoussait dans le néant ; je ressentais contre elle des accès de fureur, et, par un mélange bizarre, cette fureur ne diminuait en rien la terreur que m’inspirait l’idée de l’affliger.