Page:Constant - Le Cahier rouge, éd. Constant de Rebecque.djvu/32

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charmèrent, elle me laissa découvrir qu’elle m’aimait. Il y a, dans le moment où j’écris, vingt-cinq ans d’écoulés depuis le moment où je fis cette découverte, et j’éprouve encore un sentiment de reconnaissance en me retraçant le plaisir que j’en ressentis.

Madame Johannot, c’était son nom, s’est placée dans mon souvenir, différemment de toutes les femmes que j’ai connues : ma liaison avec elle a été bien courte et s’est réduite à bien peu de chose. Mais elle ne m’a fait acheter les sensations douces qu’elle m’a données par aucun mélange d’agitation ou de peine : et à quarante-quatre ans je lui sais encore gré du bonheur que je lui ai dû lorsque j’en avais dix-huit.

La pauvre femme a fini bien tristement. Mariée à un homme très méprisable de caractère et de mœurs très corrompues, elle fut d’abord traînée par lui à Paris, où il se mit au service du parti qui dominait, devint, quoique étranger, membre de la Convention, condamna le Roi à mort et continua jusqu’à la fin de cette trop célèbre Assemblée à y jouer un rôle lâche et équivoque. Elle fut ensuite reléguée dans un village d’Alsace pour faire place à une maîtresse que son mari