Page:Constant - Le Cahier rouge, éd. Constant de Rebecque.djvu/65

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préjugés, en partageant mon admiration pour tout ce qui était bizarre, extraordinaire, original, elle finit par m’inspirer une soif véritable de me trouver aussi moi-même hors de la loi commune. Je ne formai pourtant point de projets, mais je ne sais dans quelle idée confuse, j’empruntai à tout hasard à madame de Charrière une trentaine de louis.

Le lendemain M. Benay vint délibérer avec moi sur la manière dont nous cheminerions, et nous convînmes que nous nous suivrions dans des voitures à une place en nous y arrangeant du mieux que nous pourrions. Comme il n’avait jamais vu Paris, je lui proposai de ne partir que le soir, et il y consentit facilement. Je n’avais aucun motif bien déterminé dans cette proposition, mais elle retardait d’autant un instant que je craignais. J’avais mes trente louis dans ma poche et je sentais une espèce de plaisir à me dire que j’étais encore le maître de faire ce que je voudrais. Nous allâmes dîner au Palais-Royal. Le hasard fit qu’à côté de moi se trouva un homme que j’avais vu quelquefois chez Madame De Bourbonne, et avec lequel j’avais causé volontiers parce qu’il avait assez d’esprit.