Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/173

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doute, et, se levant pour quitter la chambre, elle tomba sans connaissance entre les bras d’Émilie, qui, l’ayant vue changer de couleur, s’était précipitée à son secours.

Denbigh avait eu la prévoyance d’emmener le marchand, qu’il s’efforçait en vain d’apaiser ; de sorte que les parents de Jane furent seuls témoins de son désespoir.

Elle fut tout de suite portée dans sa chambre, et une fièvre brûlante se déclara bientôt. Les éclats de sa douleur étaient déchirants ; elle accusait Egerton, ses parents, elle-même ; enfin elle s’abandonnait à tous les transports que peuvent inspirer une tête romanesque, des espérances trompées, et la certitude désespérante d’un infâme abandon.

La présence de ses parents semblait ajouter à ses peines, et elle n’était sensible qu’aux douces et insinuantes caresses d’Émilie. Enfin la nature épuisée s’affaiblit en elle, et Jane perdit, dans un repos momentané, le sentiment de ses douleurs.

Pendant ce temps on apprenait d’une manière plus positive les circonstances de la fuite des deux coupables.

Il paraissait, que le colonel avait quitté Benfield-Lodge immédiatement après la conversation qu’il avait eue avec sir Edward, et qu’il était allé coucher à une auberge voisine, après avoir prudemment ordonné à son domestique de venir l’y rejoindre au point du jour, avec tous ses bagages. De là, s’étant procuré une chaise de poste, il se rendit au logement occupé par les Jarvis ; mais on ne put jamais savoir par quels arguments il avait si promptement décidé miss Jarvis à fuir avec lui. Les remarques de Mrs Jarvis et de miss Sarah prouvaient qu’elles étaient persuadées que le colonel n’avait jamais aimé que Marie, qu’il avait eu l’adresse de leur fasciner les yeux à tel point, qu’elles voyaient, sans en prendre d’alarme, la cour assidue qu’il faisait à Jane. Le succès d’une telle duplicité faisait espérer aux Moseley qu’on ignorerait toujours combien Jane avait été près de devenir sa victime.

Dans l’après-dînée, M. Jarvis reçut une lettre qu’il s’empressa de communiquer au baronnet et à Denbigh. Elle venait d’Egerton, et était conçue dans les termes les plus respectueux ; il cherchait à excuser l’enlèvement de Marie par le désir qu’il avait eu d’éviter les délais que lui aurait fait éprouver la publication des bans, lorsqu’il craignait à toute heure d’être appelé à son régiment.