Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/221

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rent au même instant que le vicomte était leur fait, et que, pour river plus sûrement ses chaînes, il fallait continuer à employer les mêmes moyens qui l’avaient captivé à leur insu.

Jamais coopération ne fut plus active ni plus heureuse, et les deux complices jouèrent si bien leur rôle que le vicomte avait toute la confiance d’un Corydon de campagne, et il ne commença à ouvrir les yeux que lorsqu’il entrevit les manèges auxquels la douairière avait recours pour prendre John à son tour dans ses filets, qu’il remarqua que sa femme ne faisait aucune attention à une chose qui lui semblait toute naturelle et à laquelle il pensait pour la première fois qu’elle avait été habituée elle-même.

Lorsque la douairière fut descendue, et pendant que Moseley était allé la conduire jusqu’à sa voiture, Grace prit sa guitare presque machinalement, et commença une romance qui était alors à la mode. Grace avait une voix charmante ; mais en présence de John elle était ordinairement si troublée que son émotions paralysait ses moyens. Pour le moment elle était seule ; ses sentiments étaient en harmonie avec les paroles, et jamais elle n’avait chanté avec plus d’expression.

John était appuyé sur le dos de sa chaise avant qu’elle se fût aperçue de son retour. Dès qu’elle le vit, il lui fut impossible de continuer ; elle se leva, et alla s’asseoir sur un sofa en reprenant son ouvrage. John s’assit à côté d’elle.

— Ô Grace ! lui dit-il (et le cœur de la jeune personne battit plus vite), votre chant est comme tout ce que vous faites… parfait !

— Vous trouvez, monsieur Moseley ? répondit la pauvre enfant fixant à terre ses yeux qu’elle n’osait lever sur lui.

John la regardait d’un air passionné ; elle était pâle et toute tremblante. John prit sa main ; elle la donna sans résistance. Un portrait frappant de lord Chatterton était suspendu auprès de la cheminée.

— Combien vous ressemblez à votre frère, ma chère Grace, lui dit-il, moins encore pour la figure que pour le caractère !

— Sous ce rapport, répondit-elle en se hasardant à lever les yeux, c’est à votre sœur Émilie que je voudrais ressembler.

— Et pourquoi ne deviendriez-vous pas sa sœur, ma chère Grace ? s’écria-t-il vivement ; vous êtes digne de l’être. Dites-moi, oh ! dites-moi que vous consentez à me rendre le plus heureux des hommes !