Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/249

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Wilson ; miss Harris paraît combattre en désespérée, et ses attaques sont beaucoup moins masquées qu’elles ne l’étaient jadis. Je crois que lorsqu’une jeune personne s’écarte une fois de la réserve et de la modestie qui doit toujours caractériser son sexe, elle s’égare de plus en plus dans la fausse route qu’elle a prise. Si elle ne réussit point, elle en prend de l’humeur, son caractère s’aigrit, elle devient insupportable pour tous ceux qui l’entourent ; ou bien, si elle persévère dans ses efforts, elle finit par abjurer toute pudeur, et court à son but avec une effronterie qui l’en éloigne plus que jamais.

Jane s’était retirée dans sa chambre pour s’y abandonner en liberté à ses larmes ; et craignant de laisser apercevoir son dépit à tous les yeux, elle formait la résolution désespérée de quitter pour toujours un monde qui ne lui offrait plus que dégoûts. En effet, y avait-il rien de plus mortifiant pour son amour-propre que de voir l’homme que son cœur s’était plu à parer de toutes les perfections, assez déchu dans l’estime générale pour que sa conduite devînt l’objet d’une censure publique ? C’était tout à la fois un reproche fait à son goût, à sa délicatesse et à son jugement.

Elle se mit à pleurer amèrement sur ses espérances trompées, en se promettant bien de ne plus s’exposer à un danger que la moindre prudence lui eût fait éviter. — Émilie avait remarqué la sortie de Jane, et elle attendait avec impatience que le départ des personnes qui étaient venues leur rendre visite lui permît de la suivre. Dès qu’elle se trouva libre, elle courut à la chambre de sa sœur ; mais elle frappa deux ou trois fois avant d’obtenir une réponse.

— Jane, ma chère Jane, dit Émilie du ton le plus doux, ne voulez-vous pas m’ouvrir ? Jane ne put résister plus longtemps aux instances de sa sœur ; elle ouvrit sa porte, mais dès qu’Émilie voulut lui prendre la main, elle la retira froidement en disant :

— Je m’étonne que vous, qui êtes si heureuse, vous consentiez à quitter le monde où vous vous plaisez, pour venir trouver une infortunée qui ne sait où cacher son humiliation. En finissant ces mots, elle fondit en larmes.

— Heureuse ! dit Emilie avec angoisse. Ah ! Jane, si vous connaissiez mes souffrances, vous ne me parleriez pas avec cette cruauté.

Jane la regarda un moment d’un air de compassion ; mais reve-