Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/275

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« Vingt fois depuis je me suis demandé comment j’avais pu avoir tant de condescendance ; et, en ce moment même, je ne sais pas encore si j’ai cédé, au mérite d’Émilie, au désir d’assurer le bonheur de mon frère, ou à l’ascendant du nom des Chatterton.

« Hélas ! ce Chatterton est certainement beaucoup trop beau pour un homme ! mais j’oublie que vous ne l’avez jamais vu. »

Ici le comte ne put retenir un sourire malin, et sa sœur continua :

« La noblesse est certainement une belle chose pour ceux qui jouissent de cet avantage ; mais je défierais la vieille comtesse la plus entichée de la sienne de s’en prévaloir auprès d’Émilie ; elle a tant de grâces et tant d’attraits, il y a une dignité naturelle si empreinte dans toutes ses manières, qu’on ne se souvient plus en la voyant que des distinctions qu’elle tient de la nature.

«  Je commençais à espérer qu’elle cèderait à mes instances, lorsqu’elle m’interrompit pour me dire d’une voix douce et tremblante : — Je m’aperçois, mais trop tard, que mon imprudence a dû faire croire à mes amis que j’encourageais les espérances du duc, et que j’accepterais l’offre de sa main ; mais chère lady Henriette, c’est bien innocemment ; et j’espère que vous croirez à l’assurance que je vous donne que jamais je ne me suis permis de regarder votre frère autrement que comme un ami dont la connaissance nous était agréable. Elle prononça ces mots avec un tel accent de vérité, qu’il eût été impossible de ne pas la croire. Nous causâmes encore une demi-heure, et cette charmante fille me montra tant de délicatesse, d’ingénuité et de sentiments religieux, que si j’entrai dans sa chambre avec un peu de répugnance pour le rôle de suppliante que j’allais jouer, j’en sortis avec un véritable chagrin de n’avoir pu la décider à épouser mon frère. Oui, je dois l’avouer, incomparable sœur de l’incomparable Pendennyss, j’ai pensé quelquefois que vous pourriez devenir la femme de Derwent ; mais ni votre naissance, ni vos cent mille livres, ni votre mérite, ni même l’amitié qui nous unit, n’auraient pu me décider à détourner mon frère d’épouser Émilie pour vous offrir sa main.

«  Vous jugerez de son ascendant sur tous les cœurs et de son indifférence pour les conquêtes les plus flatteuses, quand je vous dirai qu’elle a refusé lord… ; mais j’oublie que vous ne le connaissez pas, et que vous ne pouvez juger à quel point ce refus est étonnant.