Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/281

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alors était riant et animé ! Hélas ! la même révolution s’était opérée dans son cœur ; le doux espoir avait fait place à de tristes réalités ! Puis elle se rappelait la conduite de Denbigh sur ce lieu même, ses attentions toujours si délicates, si prévenantes, surtout lorsqu’elle en était l’objet. Tous ces souvenirs venaient l’assaillir à la fois, et, oubliant le motif pour lequel elle était venue, subjuguée par son émotion, elle se laissa tomber sur un banc de gazon, et donna un libre cours à ses sanglots.

Tout à coup elle entend marcher auprès d’elle. À peine a-t-elle le temps de s’essuyer les yeux et de rassembler ses pensées en désordre, que Mrs Wilson entre sous le berceau. Regardant sa nièce d’un air sévère que jamais elle n’avait pris avec elle, et qui fit trembler Émilie :

— La religion nous impose l’obligation, lui dit-elle, et cette obligation, nous devons nous l’imposer à nous-mêmes, de chercher à étouffer les passions qui sont incompatibles avec nos devoirs, et que condamnent nos principes, et il n’y a point de faiblesse plus grande que de chercher à les nourrir lorsque nous sommes convaincus de notre erreur. C’est un aveuglement qui peut avoir pour nous les conséquences les plus funestes que de persévérer à croire innocents ceux que l’évidence nous a démontrés coupables. Plus d’une femme a mis elle-même le sceau à son malheur par cette obstination volontaire. Que sera-ce si l’on y joint la vanité impardonnable de penser qu’on exercera une influence salutaire sur un homme que la crainte de Dieu n’a pu retenir dans le devoir !

— Ô ma chère tante ! ne me parlez pas avec cette rigueur, s’écria la pauvre fille en sanglotant ; je n’ai point cette faiblesse dont vous m’accusez ; puis, levant sur sa tante ses grands yeux où se peignait la plus touchante résignation, elle ajouta : — Ici, à l’endroit même où il me sauva la vie, je venais prier pour que son âme s’ouvrît au repentir, et qu’il revînt de toutes ses erreurs.

Mrs Wilson, attendrie presque jusqu’aux larmes, la considéra un moment avec un mélange de joie à la vue de sa pieuse ferveur, et de pitié à l’aspect de cette trop grande sensibilité dont elle était la victime.

— Je vous crois, ma chère, lui répondit-elle d’un ton plus doux, je ne doute pas que, quel que soit l’amour que vous ayez pu ressentir pour Denbigh, vous n’aimiez encore plus votre Dieu