Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/295

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Lorsqu’ils arrivèrent, toute la société était déjà rassemblée ; lady Moseley fut mise à une partie de quadrille, et les jeunes gens se livrèrent aux plaisirs de leur âge. Émilie, désirant se soustraire à la gaieté bruyante d’une foule de jeunes gens qui s’étaient rassemblés autour de sa tante et de sa sœur, offrit son bras à M. Benfield, qui désirait faire le tour des salons.

Ils erraient de l’un à l’autre sans s’apercevoir de l’étonnement qu’excitait la vue d’un homme de l’âge et du costume de M. Benfield, appuyé sur le bras d’une jeune et charmante personne, et sans même entendre les exclamations de surprise et d’admiration qu’on laissait échapper autour d’eux, lorsque enfin Émilie, craignant que la foule n’incommodât son oncle, l’entraîna doucement vers un salon écarté, destiné aux tables de jeu, où l’on circulait un peu plus librement.

— Ah ! chère Emmy, dit le vieux gentilhomme en s’essuyant le front, que les temps sont changés depuis ma jeunesse ! on ne voyait point alors une foule semblable resserrée dans un si petit espace, les hommes coudoyant les femmes, et, oserai-je le dire, chère Emmy, les femmes elles-mêmes coudoyant les hommes, comme je viens d’en être témoin.

M. Benfield prononça cette dernière phrase à voix basse, comme s’il eût craint qu’on entendît un tel blasphème.

— Je me rappelle, continua-t-il, que pendant une fête donnée par lady Gosford, quoique je puisse dire, sans vanité, que j’étais un des hommes les plus galants de la société, il ne m’arriva pas d’effleurer même du bout du doigt la robe ou même le gant d’aucune dame, si ce n’est pourtant que je donnai la main à lady Juliana pour la conduire à sa voiture.

Émilie sourit, et ils se promenèrent lentement au milieu d’une longue rangée de tables, jusqu’à ce qu’ils fussent arrêtés par une partie de wisk qui interceptait le passage, et qui attira leur attention par la différence d’âge et d’humeur qui se faisait remarquer entre ceux qui la composaient.

Le plus jeune des joueurs était un homme de vingt-cinq à vingt-six ans, qui jetait ses cartes avec un air de négligence et d’ennui, et qui jouait avec les guinées qui servait à marquer les points. Il lançait à la dérobée des regards d’envie sur les scènes plus animées qui se passaient dans les salons voisins, et l’impatience qu’exprimaient toutes ses manières prouvait assez qu’il n’atten-