Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/302

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— Point de gêne et liberté entière, c’est la devise du jour, vous le savez, ma chère cousine ; aussi y a-t-il une heure que je suis ici, et que, ne vous voyant pas là pour faire les honneurs de votre maison, j’ai pris la liberté de me présenter moi-même à Mrs Wilson et à miss Moseley…

En prononçant ces derniers mots avec une gravité comique, un sourire expressif vint animer les traits de Pendennyss, et Émilie jeta sur lui un regard où la malice se mêlait à la joie : elle sentait son cœur pénétré du même bonheur qui avait marqué tous les jours de son heureuse enfance.

Lady Chatterton les regardait tour à tour, étonnée de l’expression singulière qu’elle remarquait sur toutes les physionomies, et surtout du changement qui s’était opéré depuis une heure dans les manières de ses deux amies. Après avoir écouté quelque temps leur conversation, dans l’espoir de s’instruire de la cause d’une transition si subite, elle s’écria tout à coup :

— Sur ma parole, vous êtes tous des êtres incompréhensibles ; je laisse ces dames seules, et je les retrouve avec un beau jeune homme ; elles avaient encore des figures graves et sérieuses, sinon mélancoliques, je les revois rayonnantes de gaieté et de bonheur. Je les surprends avec un homme qu’elles n’ont jamais vu, et elles lui parlent de promenades faites ensemble, d’amis communs, de plaisirs passés : de grâce, chère Mrs Wilson, et vous, Milord, vous connaissez la curiosité des femmes, ne prolongez pas plus longtemps mon supplice.

— Non, s’écria le comte avec gaieté, pour punir cette curiosité, que vous n’avouez que pour nous engager à la satisfaire, je ne vous dirai pas le mot de l’énigme ; mais ma sœur m’attend chez votre voisine, Mrs Wilmot, et il faut que je la rejoigne : nous serons ici tous deux à cinq heures. Et se levant avec vivacité, il prit la main que lui tendait Mrs Wilson et la porta à ses lèvres ; puis s’arrêtant devant Émilie, dont les joues auraient pu disputer l’éclat avec la rose, il prit aussi sa main, la posa quelques instants sur son cœur, la baisa avec respect, et s’enfuit précipitamment pour cacher son émotion. Émilie, ne pouvant réussir à maîtriser la sienne, se retira un moment dans la chambre voisine, pour y verser en liberté quelques larmes. Celles-là du moins étaient sans amertume ; elles provenaient d’un excès de bonheur.

L’étonnement d’Henriette allait toujours croissant, et son in-