Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/318

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injuste préférence fut prompt et ineffaçable ; il influa sur toute l’existence des deux frères.

Francis était doué pour son malheur d’une extrême sensibilité. Il avait plus de vivacité et de pénétration que son frère, mais toutes ses qualités ne servaient qu’à lui faire sentir d’une manière plus aiguë la pointe acérée de la douleur ; et les tendres regards que sa mère ne prodiguait qu’à George se gravaient en traits de feu sur son cœur déchiré.

Les devoirs du général envers son pays l’avaient empêché de veiller lui-même à l’éducation de ses enfants ; mais il se glorifiait d’avoir donné naissance à deux fils.

Au retour d’une expédition lointaine, après deux ans d’absence, il les fit venir du collège pour les embrasser ; ils avaient alors onze et douze ans. Francis était grandi sans en être plus beau ; George avait gagné sous tous les rapports. La défiance que l’aîné avait toujours eue était encore augmentée. Il voyait qu’il n’était le favori de personne, et l’effet de cette pénible conviction se faisait remarquer jusque dans ses manières, qui étaient timides et contraintes. Il aborda son père avec la crainte de ne pas faire sur lui une impression favorable, et son cœur fut pénétré d’une mortelle angoisse en remarquant que son frère avait reçu un accueil plus tendre que lui.

— Lady Margaret, dit le général à sa femme en suivant des yeux les deux enfants qui se levaient de table après le dîner, quel dommage que George ne soit pas l’aîné ! il parerait un duché et même un trône ; Francis n’est bon qu’à faire un ministre de paroisse.

Ce jugement injuste et prématuré fut prononcé assez haut pour être entendu des deux jeunes gens, et il causa la joie la plus vive à celui qu’il flattait. Son père, son cher père l’avait jugé digne d’être roi ; et son père devait être un bon juge, lui disait sa vanité naissante. Dans ce moment, les droits de son frère ne se retracèrent point à sa pensée ; George l’aimait trop pour s’arrêter un seul instant à une pensée qu’il eût su devoir lui faire de la peine, et sa petite fierté était aussi innocente qu’elle était naturelle.

On peut juger de l’effet différent que ces paroles imprudentes produisirent sur l’esprit de Francis. Son orgueil fut mortifié, sa délicatesse alarmée, et son excessive sensibilité fut blessée à un