Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/325

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fréquenter ces maisons de jeu qu’on ne devrait pas souffrir dans le voisinage des universités. Lorsque vous serez dans le monde, que vous preniez part quelquefois à un jeu modéré, j’y consens ; c’est un amusement que votre père et moi nous nous permettons nous-mêmes sans scrupule, mais jamais en mauvaise compagnie. Les gens que vous hantez sont du plus bas étage ; c’est, mon fils, permettez-moi de vous le dire, le rebut de la société. Qu’en résulte-t-il ? c’est que vous êtes leur dupe, que vous le serez toujours, tant que vous ne choisirez pas des compagnons plus dignes de vous et du nom illustre que vous portez.

Quant à Francis, je ne puis m’empêcher de blâmer sous tous les rapports ce qu’il a fait. Il aurait dû, lui qui est votre aîné d’un an, vous empêcher de former de pareilles liaisons ; il aurait dû surtout m’apprendre sur-le-champ la perte que vous aviez faite, au lieu de blesser votre orgueil en vous exposant à l’humiliation de recevoir de l’argent d’un frère qui est presque de votre âge, et de compromettre sa santé en vivant, comme vous me l’écrivez, de pain et d’eau pendant plus d’un mois. Dites-lui que le général et moi nous sommes très-mécontents ; nous ne saurions approuver une semblable conduite, et nous finirons par vous séparer, puisque vous êtes de connivence pour faire des folies. »

George, dans un mouvement d’indignation, porta la lettre à son frère, et les réflexions qu’elle suggéra à Francis furent terribles.

Dans le premier moment il voulut se tuer, afin d’écarter ainsi l’obstacle que son existence apportait à l’avancement de son frère plus favorisé ; et, sans les preuves multipliées d’attachement que George lui donna, peut-être aurait-il eu recours, en dernier ressort, à l’expédient que lui suggérait le désespoir.

Au sortir de l’université les deux jeunes gens se séparèrent : l’un partit pour l’armée, l’autre alla habiter le château de son oncle. George obtint un brevet de capitaine, et c’était l’officier le plus franc, le plus gai, le plus aimable de son régiment. Francis arpentait du matin au soir les vastes domaines dont il devait hériter un jour. Plus misanthrope que jamais, il se haïssait lui-même, et sa présence seule pesait à tous ceux qui l’entouraient.

Voilà pourtant où l’avait réduit cette partialité injuste dont les funestes conséquences se font sentir plus ou moins vite, et ne