Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/378

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superbe coursier du comte ; est-ce bien ici que son régiment est campé, mon ami ?

— Oui, oui, répondit le soldat sans interrompre son travail, et il était facile de nous trouver ; vous n’aviez qu’à suivre la trace des cadavres de nos ennemis. Mais vous demandez après Milord, n’est-ce pas, mon garçon ? Devons-nous encore changer de position cette nuit ?

— Non pas que je sache, répondit le courrier ; je suis porteur d’un message pour votre colonel, de la part d’un officier qui est mourant ; voulez-vous bien m’indiquer où je pourrai le trouver ?

Le soldat le conduisit près de Pendennyss, qui était couché sur la terre, enveloppé dans son manteau. Dès que le courrier se fut acquitté de sa mission, le comte se leva et demanda son cheval. Précédé par le messager et suivi d’Harmer, il repassa sur le sol arrosé de sang, où quelques heures auparavant tant de malheureux avaient trouvé la mort.

Quelle impression différente fait sur notre âme la vue d’un champ de bataille pendant ou après le combat ! L’ardeur, le feu qui nous anime, les cris de guerre, les succès contestés, le tumulte, la confusion inséparable entre deux armées qui en viennent aux mains, le bruit de la mousqueterie, le son du tambour et des instruments guerriers, tout nous empêche de remarquer la scène d’horreur et de carnage qui se déploie autour de nous, et soit que nous exécutions une charge brillante ou une savante retraite, notre imagination, éblouie par l’espérance de la gloire, oublie qu’elle sera trop achetée par le sang de nos semblables.

Après l’action, cette terre jonchée de cadavres, qui ne présente de toutes parts que la dévastation et la mort, ce silence effrayant de la tombe qui a succédé aux cris de victoire, de rage ou de douleur, tout nous parle des malheurs de la guerre, dépouillée de ses faux prestiges.

À la vue de ce lugubre spectacle, Pendennyss tressaillit comme s’il frappait pour la première fois ses regards. Et comment voir sans émotion ces masses confuses de morts et de mourants entassés de toutes parts, et à travers lesquels on avait peine à se frayer un passage ? Comment surtout retenir son attendrissement en jetant les yeux sur ces hauteurs où les monceaux de cadavres, accumulés sur le même point, indiquaient l’endroit où avaient