Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/90

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si subite en votre faveur, et à moins que Votre Seigneurie n’ait obtenu tout à coup l’appui de quelque protecteur puissant, cette réussite inattendue est bien l’exemple le plus singulier que j’aie vu des caprices ministériels. »

Chatterton eût été aussi embarrassé que son ami pour l’expliquer, mais il ne s’en mit pas en peine ; il était heureux, il pouvait offrir à Émilie son cœur et sa main ; le poste qu’on lui confiait était des plus brillants, il pourrait établir ses sœurs, et tenir sa maison d’une manière honorable.

Le même jour il se déclara et fut refusé.

Depuis longtemps Émilie soupçonnait son amour, et elle ne savait trop quelle conduite tenir à son égard pour n’avoir rien à se reprocher. Elle aimait Chatterton comme son cousin, comme l’ami son frère, comme le frère de Grace, elle l’aimait aussi pour lui-même ; mais elle n’avait pour lui que la tendresse d’une sœur.

Les manières de Chatterton avec elle, quelques mots échappés à Grace ou à lui-même ne permettaient à Émilie aucun doute sur son attachement ; et, affligée de cette découverte, elle alla innocemment demander à sa tante comment elle devait se conduire avec son cousin.

Elle était sûre qu’il concevait des espérances, mais il ne se déclarait pas ; comment aurait-elle pu les lui ôter ? Émilie ne permettait jamais à aucun homme ces petits soins, ces assiduités que les amants aiment tant à avoir pour leurs maîtresses et que celles-ci aiment tant à recevoir. Toujours naturelle et sans affectation, il y avait dans toutes ses manières une dignité simple qui empêchait les jeunes gens qui l’entouraient, non seulement de lui demander mais même de penser à en obtenir un tête-à-tête, ou une de ces promenades solitaires si recherchées par les amants.

Émilie n’avait aucun plaisir qu’elle ne partageât avec ses sœurs, et si elle formait quelque projet ou un cavalier fût nécessaire, John, qui l’aimait tendrement, était toujours prêt à l’accompagner.

La préférence marquée qu’elle lui donnait sur tous les autres hommes flattait le cœur de son frère, et il eût tout quitté pour la suivre, tout, même Grace Chatterton.

La délicatesse et la réserve d’Émilie, toujours bonne et bienveillante, étaient si dépourvues d’affectation, que personne n’eût pu la taxer de pruderie ; il lui était donc très-difficile de faire