Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/275

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— Je ne prétends point l’ignorer, Monsieur ; mais en poursuivant mon humble commerce, je suis simplement un principe de la nature, en essayant d’être utile à mes intérêts. Nous autres contrebandiers, nous ne jouons qu’au hasard avec les autorités. Lorsque nous courons la bouline sains et saufs, nous gagnons, et lorsque nous perdons, les serviteurs de la couronne y trouvent leur profit. Les enjeux sont égaux, et le jeu ne devrait pas être appelé déloyal. Si les gouvernants levaient un jour les entraves inutiles qu’ils mettent au commerce, notre état disparaîtrait, et le nom de libres commerçants appartiendrait alors aux maisons les plus riches et les plus estimées.

L’alderman respira longuement, fit signe à ses compagnons de s’asseoir, plaça son énorme personne sur une chaise, croisa les jambes avec un air de complaisance, et reprit la conversation.

— Voilà de fort jolis sentiments, maître a… a… a… Vous avez un nom, il n’y a pas de doute, mon ingénieux commentateur du commerce ?

— On m’appelle Seadrift lorsqu’on m’épargne un nom plus dur, répondit le jeune homme refusant modestement de s’asseoir.

— C’est, je le répète, de fort jolis sentiments, maître Seadrift, et ils conviennent à un gentilhomme qui vit de commentaires pratiques sur les revenus. Voilà un monde fort sage, capitaine Ludlow, et il s’y trouve beaucoup de gens dont la tête est remplie, comme des ballots de marchandises, d’un assortiment général d’idées. Alphabets et livres d’église ! voilà que van Bummel Schoenbrœck et Van der Donek m’envoient un pamphlet très-soigneusement ployé, écrit en bon hollandais de Leyde, pour prouver que le commerce est un échange de ce que l’auteur appelle équivalents, et que les nations n’ont rien de mieux à faire qu’à ouvrir leurs ports afin de faire un millenium[1] parmi les marchands.

— Il y a beaucoup d’hommes ingénieux qui entretiennent la même opinion, observa Ludlow, ferme dans la résolution qu’il avait prise d’être un simple observateur de ce qui se passait.

— Qu’est-ce qu’une imagination habile n’invente pas pour gâter du papier ! Le commerce est un cheval de course, Messieurs, et les marchands, les jockeys qui le dirigent. Celui qui porte plus de poids peut perdre, mais alors la nature ne donne pas à tous les

  1. C’est-à-dire, en style classique, de faire naître l’âge d’or du commerce.