Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/119

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Le grand canal de Venise, avec tous ses détours, ayant plus d’une lieue de longueur, la distance que les bateaux avaient à parcourir en partant du Rialto était réduite de moitié. Ce fut donc à ce point que les gondoles s’assemblèrent ; et, comme toute la population, qui s’était d’abord étendue le long du rivage, se concentrait alors entre le pont et le Bucentaure, cette longue avenue ne présentait qu’une perspective de têtes humaines. C’était un imposant tableau que cette décoration mouvante, et le cœur de chaque gondolier battait vivement, agité par l’espérance, l’orgueil ou la crainte.

— Gino de Calabre ! cria l’officier chargé de placer les gondoles, tu dois passer à droite, et que saint Janvier te protège !

Le serviteur de don Camillo prit son aviron, et le bateau glissa gracieusement à la place qu’on lui indiquait.

— Vient ensuite Enrico de Fusina. Appelle à ton aide ton patron de Padoue, et déploie tes forces, car aucun matelot du continent n’a encore gagné le prix à Venise.

Le même officier appela ensuite successivement ceux dont les noms n’ont pas été mentionnés, et les plaça à côté l’un de l’autre, au centre du canal.

— Voici ta place, Signore, continua-t-il en inclinant la tête vers le gondolier inconnu ; car il était persuadé, comme tout le monde, que le visage de quelque jeune patricien était caché sous le masque, afin de satisfaire le caprice d’une beauté exigeante. Le hasard a marqué ta place à l’extrême gauche.

— Tu as oublié d’appeler le pêcheur, observe l’homme masqué, en conduisant sa gondole à sa place.

— Le vieux fou persiste-t-il toujours à exposer son amour propre et ses guenilles devant la meilleure société de Venise ?

— Je puis prendre place derrière, observa Antonio avec douceur. Il y a peut-être parmi les gondoliers des personnes qu’un homme comme moi ne doit pas coudoyer, et quelques coups d’aviron de plus ou de moins ne feront pas grand’chose dans une aussi longue course.

— Tu devrais être aussi prudent que modeste, et te retirer tout de bon.

— Si vous le permettez, Signore, je voudrais voir ce que saint Antoine peut faire pour un vieux pêcheur qui le prie matin et soir depuis soixante ans.