Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/125

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course respective. Le marin masqué jeta un regard derrière lui, comme pour calculer son avantage ; puis, se courbant de nouveau sur sa rame obéissante, il parla de manière à n’être entendu que de celui qui suivait ses traces de si près.

— Tu m’as trompé, pêcheur, dit-il ; il y a en toi plus de force que je ne l’avais supposé.

— S’il y a de la force dans mon bras, répondit le pêcheur, il y a de la faiblesse et du chagrin dans mon cœur.

— Attaches-tu tant de prix à une babiole en or ? Tu es le second ; sois satisfait de ton sort.

— Cela ne suffit pas ; je veux être le premier, ou j’aurai fatigué en vain mes vieux bras.

Ce court dialogue fut prononcé avec une aisance qui montrait à quel point l’habitude avait façonné ces deux hommes à la peine, et avec un calme que peu de mariniers auraient pu conserver dans un moment d’efforts aussi pénibles. L’inconnu garda le silence, mais sa résolution parut chanceler : vingt coups de son puissant aviron, et le but était atteint ; mais ses muscles n’étaient plus aussi tendus, et la jambe qui se développait avec tant de grâce était moins gonflée et moins raide. La gondole du vieux Antonio glissa en avant.

— Que ton âme passe dans ton aviron, murmura le masque, ou tu seras encore battu !

Le pêcheur mit toute sa force dans l’essor qu’il donna à sa gondole, et il gagna une brasse. Un autre coup de rame fit trembler la barque sur sa quille, et l’eau bouillonna autour de l’avant, comme elle bouillonne sur les pierres d’un torrent. Alors la gondole s’élança entre les deux barques qui formaient le but, et les deux petits drapeaux qui marquaient le point de la victoire tombèrent dans l’eau. Presque au même instant le masque disparut aux yeux des juges, qui eurent peine à décider lequel des deux était arrivé le premier. Gino ne fut pas longtemps en arrière, et après lui vint Bartolomeo, le quatrième et le dernier dans la lutte la mieux disputée qu’on eût encore vue sur les canaux de Venise.

Lorsque les drapeaux tombèrent, les spectateurs en suspens respiraient à peine. Peu d’entre eux connaissaient le vainqueur, tant les deux rivaux s’étaient suivis de près. Mais une fanfare de trompettes commanda l’attention, et un héraut proclama que :

— Antonio, pêcheur des lagunes, favorisé par son patron à la