Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nera facilement que la raison même qui rendait le despotisme de cette soi-disant république supportable à ses propres citoyens était une autre cause éventuelle de destruction.

Comme le sénat devint trop nombreux pour conduire avec discrétion et promptitude les affaires d’un État dont la politique était aussi tortueuse que compliquée, ses intérêts les plus importants furent confiés à un conseil composé de trois cents de ses membres. Afin d’éviter la publicité et les lenteurs qui auraient été les inconvénients inévitables d’un conseil encore si nombreux, un second choix fut fait et composa le conseil des Dix, auquel fut confiée la part du pouvoir exécutif qu’une aristocratie jalouse retirait au chef titulaire de l’État. Sur ce point, le système politique de la république de Venise, quelque erroné qu’il fût d’ailleurs, avait au moins le mérite de la simplicité et de la franchise. Les agents ostensibles de l’administration étaient connus ; et, quoique toute responsabilité réelle allât se perdre dans l’influence supérieure et la politique étroite des patriciens, les chefs ne pouvaient échapper entièrement à l’odieux que l’opinion publique rejetait sur leur conduite injuste et illégale. Mais un État dont la prospérité était principalement fondée sur les contributions des provinces soumises, et dont l’existence était également menacée par la fausseté de ses principes et par l’accroissement des autres États voisins, avait besoin d’un instrument de gouvernement encore plus efficace, en l’absence de ce pouvoir exécutif que les prétentions républicaines de Venise lui refusaient. Une inquisition politique, qui devint avec le temps une des polices les plus effrayantes qu’on ait jamais connues, fut la conséquence de cette nécessité. Une autorité absolue et sans aucune responsabilité fut périodiquement confiée à un corps encore plus restreint, qui s’assemblait et exerçait ses fonctions despotiques et secrètes sous le nom de conseil des Trois. Le choix de ces chefs temporaires était décidé par le sort, et de manière que le résultat ne fût connu que des trois membres et de quelques-uns des officiers les plus dévoués au gouvernement. Ainsi il existait de tout temps, au sein de Venise, un pouvoir arbitraire et mystérieux confié à des hommes qui vivaient en société avec les autres, dont on ignorait les fonctions, qui étaient entourés de tous les liens de la vie, et qui cependant étaient influencés par des maximes politiques aussi cruelles, aussi tyranniques que l’égoïsme des hommes en pût jamais inventer.