Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/224

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les chevaux de bronze lâchent des ruades si l’on profère un seul mot contre ceux qui tiennent le haut rang.

— N’est-il pas permis de maudire ceux qui vous volent votre femme ? La patience de Job y tiendrait-elle ? N’as-tu pas d’affection pour ta maîtresse ?

— Je ne me doutais pas, Excellence, que vous eussiez le bonheur d’avoir l’une et que j’eusse l’honneur d’avoir l’autre.

— Tu me fais sentir ma folie, mon bon Gino. En m’aidant en cette occasion, tu auras en vue ta propre fortune ; car tes efforts et ceux de tes compagnons auront pour but la délivrance de la dame à qui je viens de promettre l’amour et la fidélité d’un époux.

— Que san Teodoro nous aide tous, et qu’il nous apprenne ce que nous devons faire ! Cette dame est très-heureuse, signor don Camille ; et si je savais seulement quel nom lui donner, elle ne serait jamais oubliée dans aucune des prières qu’un si humble pécheur oserait offrir.

— Tu n’as pas oublié la dame charmante que j’ai retirée du Giudecca ?

— Corpo di Bacco ! Votre Excellence flottait comme un cygne et nageait aussi vite que vole une mouette. — Si je l’ai oubliée, Signore ? Non, non ! J’y pense toutes les fois que j’entends quelque chose dans l’eau, et je n’y pense jamais sans maudire du fond du cœur le marin d’Ancône. — San Teodoro me pardonne si cela ne convient pas à un chrétien. Mais quoique nous disions des merveilles de ce que notre maître a fait dans le Giudecca, ses eaux n’ont pas le pouvoir d’une cérémonie de mariage, et nous ne pouvons parler avec beaucoup de certitude d’une beauté que nous avons vue dans des circonstances si défavorables.

— Tu as raison, Gino : mais le fait est que cette dame, l’illustre donna Violetta Tiepolo, fille et héritière d’un célèbre sénateur, est maintenant ta maîtresse. Il ne nous reste, qu’à l’établir dans le château de Sainte-Agathe, où je défierais Venise et tous ses agents.

Gino baissa la tête avec soumission ; mais il jeta un regard en arrière pour s’assurer qu’aucun de ces agents que son maître défiait si ouvertement n’était à portée de l’entendre.

Pendant ce temps, la gondole avançant toujours ; car ce dialogue n’interrompait nullement les efforts de Gino, qui dirigeait la barque vers le Lido. À mesure que la brise de terre devenait