Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/300

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— Santa Maria en soit bénie ! j’ai encore ce bonheur.

— C’en est un sans doute ; car un père n’aurait pas le courage de vendre sa fille à des vues d’ambition et d’intérêt. — Et ta mère ?

— Elle garde le lit depuis longtemps, noble dame. — Ah ! je crois que nous ne serions pas ici ; mais nous n’avions pas un autre lieu aussi convenable que cette prison même, dans son état de souffrance.

— Gelsomina, tu es plus heureuse que moi, même dans cette prison. — Je n’ai ni père — ni mère, — je pourrais dire ni amis.

— Et c’est une dame de la maison de Tiepolo qui parle ainsi !

— Il ne faut pas juger des choses par les apparences dans ce monde pervers, bonne Gelsomina. — Nous avons fourni bien des doges à Venise, mais nous avons beaucoup souffert. Tu peux avoir entendu dire que tout ce qui reste de la maison dont je sors se réduit à une jeune fille comme toi, qui a été placée sous la tutelle du sénat ?

— On parle de ces affaires dans Venise ; et de tous ceux qui se trouvent ici, personne ne va aussi rarement que moi sur la place. Cependant j’ai entendu parler de la richesse et de la beauté de donna Violetta ; j’espère que ce qu’on dit sur le premier point est vrai, et mes yeux sont témoins en ce moment de la vérité du second.

La fille de Tiepolo rougit à son tour, mais ce n’était point par ressentiment.

— On parle avec beaucoup d’indulgence d’une orpheline, quoique sa fatale richesse ne soit peut-être pas exagérée. — Tu sais que le sénat se charge du soin et de l’établissement de toutes les filles nobles que la Providence prive de leur père ?

— Je l’ignorais. — Saint-Marc est charitable d’agir ainsi.

— Tu penseras différemment tout à l’heure. — Tu es jeune, Gelsomina, et tu as passé tout ton temps dans la solitude ?

— Oui, noble dame. Il est rare que j’aille ailleurs que dans la chambre de ma mère ou dans le cachot de quelque malheureux prisonnier.

Violetta regarda sa gouvernante avec une expression qui semblait dire que ses espérances étaient vaines, et qu’elle n’avait pas d’aide à attendre d’une jeune fille ayant si peu d’expérience du monde.

— Tu ne comprendras donc pas qu’une femme noble puisse