Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que donnent des intentions pures. Elle passa bientôt sur le Pont-des-Soupirs sans craindre de rencontrer personne dans cette galerie non fréquentée, et elle entra dans le palais. Là, elle s’avança vers une porte qui donnait sur une issue commune et publique de cet édifice. Marchant avec la précaution nécessaire pour être sûre de ne pas être découverte, elle éteignit sa lumière et se trouva au même instant sur le vaste et sombre escalier. Il ne lui fallut qu’un moment pour le descendre et pour arriver sous la galerie couverte qui entourant la cour. Un hallebardier était à quelques pas d’elle ; il la regarda avec un air d’intérêt ; mais comme sa consigne n’était pas d’interroger les personnes qui sortaient du palais, il ne lui dit rien. Gelsomina continua son chemin. Un homme hésitant encore dans l’acte de sa vengeance, jetait une accusation dans la Gueule du Lion. Gelsomina s’arrêta involontairement, jusqu’à ce que l’accusateur secret eût fini son œuvre de perfidie et se fût éloigné. Lorsqu’elle allait se remettre en marche, elle vit le hallebardier qui était de garde au haut de l’escalier du Géant, sourire de son indécision en homme habitué à de pareilles scènes.

— Y a-t-il du danger à sortir du palais ? demanda-t-elle au grossier Dalmate.

— Corpo di Bacco ! il aurait pu y en avoir il y a une heure, bella donna ; mais les mutins sont muselés et font leurs prières.

La fille du geôlier n’hésita plus ; elle descendit l’escalier du haut duquel avait roulé la tête de Faliero, et fut bientôt sous le cintre de la porte. Là, l’innocente et timide Gelsomina s’arrêta de nouveau, car elle n’osait se hasarder plus loin sans s’être assurée, comme un daim prêt à quitter son couvert, de la tranquillité de la place dans laquelle elle allait entrer.

Les agents de la police avaient été trop alarmés par l’insurrection des pêcheurs pour ne pas avoir recours aux expédients ordinaires de l’astuce. De l’argent avait été distribué aux charlatans et aux chanteurs de ballades pour les engager à reparaître, et des groupes de gens soudoyés, les uns masqués, les autres sans masque, s’étaient rassemblés sur divers points de la Piazza. En un mot, on avait mis en œuvre tous les stratagèmes employés ordinairement pour rétablir la confiance du peuple dans les pays dont la civilisation est encore si récente qu’on ne la considère pas comme assez avancée pour que les habitants soient les gardiens