Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/319

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or, et retire-toi comme tu es venue. — Mais un instant ! — Connais-tu cette Annina ?

— Elle est fille de la sœur de ma mère, noble duc.

— Per Diana ! un digne couple de sœurs ! — Allez-vous-en ensemble ; car je n’ai besoin ni de l’une ni de l’autre. — Mais écoute-moi, ajouta don Camillo en prenant Annina par le bras et en la conduisant à l’écart : tu vois, dit-il d’une voix basse, mais menaçante, que je suis à craindre aussi bien que ton sénat. Tu ne peux passer le seuil de la porte de ton père sans que j’en sois instruit. Si tu es prudente, tu donneras à ta langue une leçon de discrétion. Fais ce que tu voudras ; je ne te crains pas : mais songe à la prudence !

Annina fit une humble révérence comme pour reconnaître la sagesse de cet avis, et, prenant le bras de sa cousine qui conservait à peine l’usage de ses sens, elle le salua de nouveau et sortit avec empressement. Sachant que leur maître était dans son cabinet, aucun des domestiques ne songea à mettre obstacle au départ de celles qui sortaient de la chambre privilégiée. Gelsomina, plus impatiente que sa rusée cousine elle-même de sortir d’un lieu qu’elle regardait comme souillé, respirait à peine quand elles arrivèrent à la gondole. Le batelier attendait sur les degrés, et en un moment la barque les éloigna d’un lieu que toutes deux étaient charmées de quitter, quoique par des raisons fort différentes.

Gelsomina, dans sa précipitation, avait oublié son masque, et dès que la gondole fut sur le grand canal, elle avança la tête à la fenêtre du pavillon pour respirer l’air frais du soir. Les rayons de la lune tombaient sur ses yeux pleins d’innocence et sur ses joues animées alors de couleurs qu’elles devaient partie à la fierté blessée, partie à la joie d’être délivrée d’une situation qui lui paraissait si dégradante. Elle avait une main appuyée sur son front quand elle vit le gondolier lui faire un signe et soulever un instant son masque.

— Carlo ! était-elle sur le point de s’écrier ; mais un autre signe, qui recommandait de la prudence, la rendit muette.

Gelsomina se retira de la fenêtre, et, lorsque les battements de son cœur se furent apaisés, elle baissa la tête et remercia le ciel de se trouver, dans un pareil moment, sous la protection d’un homme qui avait toute sa confiance.