Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/323

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— Qu’importe que je me nomme Luigi, Enrico ou Giorgio ? — Je suis une de tes pratiques, et j’honore jusqu’au plus petit poil de tes sourcils. Tu sais, Annina, que nos jeunes patriciens ont leurs folies, et qu’ils nous font jurer de leur garder le secret jusqu’à ce que tout danger d’ètre découverts soit passé. Si quelques yeux impertinents me suivaient, on pourrait me questionner sur la manière dont j’ai passé le commencement de cette soirée.

— Il me semble qu’il aurait mieux valu te donner une pièce d’or et te renvoyer chez toi tout d’un coup.

— Pour être suivi jusqu’à ma porte comme un juif dénoncé ? Quand j’aurai confondu ma barque parmi un millier d’autres, il sera assez temps de me démasquer. — Veux-tu monter à bord de la bella Sorrentina ?

— Il est inutile de me le demander, puisque tu suis les ordres de ta propre volonté.

Le gondolier sourit, et fit un signe de tête comme pour lui donner à entendre qu’il savait ce qu’elle désirait secrètement. Annina hésitait encore si elle devait chercher à le faire changer de résolution, quand la gondole s’arrêta près de la felouque.

— Monterons-nous à bord pour parler au patron ? demanda Jacopo.

— Cela est inutile ; il n’a pas de vin.

— Je sais mieux que vous ce qui en est. — Je connais l’homme et tous ses subterfuges.

— Tu oublies ma cousine.

En parlant ainsi, Jacopo prit Annina dans ses bras avec un air moitié galant, moitié résolu, la plaça sur le pont de la bella Sorrentina, et y sauta lui-même ensuite ; sans lui laisser un instant pour recueillir ses pensées, il la fit descendre dans la cabane, où il la laissa fort surprise de la conduite du gondolier ; mais déterminée à ne pas faire connaître à un étranger la manière dont elle fraudait les droits des douanes.

Stefano Milano était endormi sur le pont, étendu sur une voile. Jacopo l’éveilla en lui frappant sur l’épaule ; il se leva et vit debout près de lui le prétendu Roderigo.

— Mille pardons, Signore ! lui dit le marin. Eh bien ! ma cargaison est-elle arrivée ?

— En partie seulement. Je viens de t’amener une certaine Annina Torti, fille du vieux Tomas Torti, marchand de vin du Lido.