Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/352

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difficilement adoptés par un esprit qui n’y était point façonné par l’habitude. Le jeune sénateur fermait les yeux sur leurs résultats. Comme il sentait leur influence dans tous les intérêts de sa vie, mais non dans ceux de cette pauvre vertu si négligée et dont les récompenses sont si éloignées, il était obligé de chercher ailleurs quelque palliatif ou quelque bien indirect pour excuser son acquiescement à ces principes.

Ce fut dans ces dispositions que le signor Soranzo fut admis au Conseil des Trois. Souvent, dans les rêves de sa jeunesse, il avait envisagé la haute fonction dont il était revêtu comme le but de toute son ambition. Mille tableaux du bien qu’il pourrait faire avaient enchanté sa jeune imagination ; et ce ne fut qu’en avançant dans la vie, et lorsqu’il eut une connaissance plus intime des ruses employées par les mieux intentionnés, qu’il parvint à croire ce que jusqu’alors il avait jugé impossible. Néanmoins il entra au conseil avec des doutes et de la défiance. S’il eût vécu dans un siècle plus rapproché de nous, sous le même système modifié par les connaissances qui ont résulté de l’invention de l’imprimerie, il est probable que le signor Soranzo eût été un noble de l’opposition. Soutenant quelquefois avec ardeur des mesures de bien public, et quelquefois cédant avec grâce aux suggestions d’une politique plus austère, mais toujours influencé par les avantages positifs qu’il était né pour posséder, il savait et peine lui-même qu’il n’était pas ce qu’il faisait profession d’être. La faute, malgré tout, n’était pas autant celle du noble que celle des circonstances qui, en plaçant les intérêts en opposition avec le devoir, entraînent souvent plus d’un esprit généreux dans des faiblesses plus grandes encore.

Les collègues du signor Soranzo éprouvèrent cependant plus de difficultés qu’ils ne l’avaient supposé à le préparer aux devoirs d’un homme d’État, qui étaient si différents de ceux qu’il avait remplis jusqu’alors comme homme. Ils ressemblaient l’un et l’autre à deux éléphants de l’Orient, possédant l’instinct et les qualités généreuses de ce noble animal, mais disciplinés par une force étrangère à leur nature, et réduits à être des créatures de convention placées de chaque côté d’un jeune frère sorti nouvellement de ses plaines natales, et auquel il était de leur devoir d’apprendre de nouveaux exercices de trompe, de nouvelles affections, et la manière de porter avec dignité le hoirdah d’un rajah.