Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/359

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Ses conducteurs se regardèrent avec surprise, et ni l’un ni l’autre ne s’offrit à lui rendre ce charitable service.

— Je vais voir probablement pour la dernière fois, continua le prisonnier, un homme alité, je pourrais dire un père mourant qui ne connaît pas ma situation… Voudriez-vous qu’il me vît ainsi ?

Cet appel, qui tirait sa force plutôt de la manière expressive dont il était fait que des paroles elles-mêmes, produisit son effet : un des conducteurs ôta les chaînes du Bravo et lui dit d’avancer. Jacopo entra d’un pas prudent, et lorsque la porte fut ouverte, il pénétra seul dans la chambre, car les conducteurs ne trouvaient pas dans une entrevue entre un spadassin et son père un intérêt suffisant pour endurer la chaleur brûlante de la prison. La porte fut fermée sur lui et le cachot retrouva son obscurité.

Malgré sa fermeté habituelle, Jacopo hésita lorsqu’il se trouva si subitement dans la silencieuse demeure du captif abandonné. Le bruit produit par une respiration qui tenait du râle de la mort lui fit connaître promptement l’endroit où était le grabat ; mais les murs massifs du côté du corridor empêchaient la lumière de pénétrer.

— Mon père ! dit Jacopo avec douceur.

Il n’obtint pas de réponse.

— Mon père ! répéta-t-il d’une voix plus forte.

La respiration se releva, et le captif parla.

— La vierge Marie a écouté mes prières, dit-il d’une voix affaiblie ; Dieu t’a envoyé, mon fils, pour me fermer les yeux.

— Vos forces vous abandonnent-elles, mon père ?

— De plus en plus. Mon heure est arrivée ; j’avais espéré voir encore la lumière du jour et bénir ta mère et ta sœur… La volonté de Dieu soit faite !

— Elles prient pour nous deux, mon père ; elles sont au-delà du pouvoir du sénat.

— Jacopo, je ne te comprends pas.

— Ma mère et ma sœur sont mortes ! ce sont des saintes dans le ciel.

Le vieillard gémit, car les liens qui l’attachaient à la terre n’étaient point encore brisés. Jacopo l’entendit murmurer une prière, et il s’agenouilla près du grabat.

— C’est un coup inattendu, murmura le vieillard ; nous quittons ensemble ce monde.