Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/383

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entrant en communication intellectuelle avec un des auteurs classiques de l’Italie. Il avait quitté son costume d’apparat pour jouir de plus d’aisance et de liberté, et le carme n’aurait pu choisir un instant plus favorable à son projet, puisque l’homme auquel il avait à s’adresser n’était pas défendu par les insignes ordinaires de son rang, et que son cœur venait d’être attendri par la lecture des ouvrages d’un de ces auteurs qui savent faire naître dans l’esprit de leurs lecteurs les sentiments qu’ils veulent leur inspirer. Telle était la préoccupation du doge en ce moment que son serviteur entra sans être aperçu, et qu’il resta debout, attendant avec respect un signe de son maître, pendant près d’une minute avant que le prince le remarquât.

— Que me veux-tu, Marco ? lui dit enfin le doge, levant les yeux de dessus son livre.

— Signore, répondit le serviteur avec cette sorte de familiarité qui est permise à ceux qui approchent immédiatement de la personne des princes, — le révérend père carme et la jeune fille attendent votre bon plaisir.

— Que dis-tu ? Un carme ! une jeune fille !

— Oui, Signore, ceux que Votre Altesse attend. — Signore, je ne fais que répéter les paroles du moine. — Dis à Son Altesse, m’a dit le père, que le carme qu’elle désire voir et la jeune fille au bonheur de laquelle son cœur prend un intérêt paternel sont à ses ordres.

L’indignation plutôt que la honte appela une vive rougeur sur le front ridé du vieux prince, et son œil étincela.

— Et c’est à moi qu’on parle ainsi ! — et même dans mon palais !

— Pardon, Signore ; mais ce n’est pas un de ces prêtres éhontés comme il y en a tant, qui déshonorent leur tonsure. Le moine et la jeune fille ont un air de candeur et d’innocence. Votre Altesse les a peut-être oubliés.

La rougeur disparut des joues du prince, et ses yeux reprirent leur expression paternelle. Mais l’âge et l’expérience qu’il avait acquise en remplissant des devoirs délicats avaient appris au doge de Venise la nécessité des précautions. Il savait que la mémoire ne lui manquait pas, et il se douta sur-le-champ qu’un message si extraordinaire cachait quelque mystère secret. Ce pouvait être un complot de ses ennemis, qui étaient nombreux et actifs ; ou,