Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/57

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enfreindre une loi qui a cessé rarement d’être observée. Je connais peu, ma fille, les affaires de cette vie ; mais il y a des ennemis de la république qui disent qu’il est difficile d’obéir aux obligations qu’elle impose, et qu’elle accorde rarement des faveurs de cette sorte sans en exiger d’amples équivalents.

— Cela est-il juste ? Si don Camillo Monforte a des droits à réclamer à Venise, soit qu’il demande des palais sur les canaux ou des terres sur le continent, des honneurs dans la république ou une voix au sénat, on devrait lui rendre justice sans délai, afin qu’on ne dise pas que la république se vante plus de cette vertu sacrée qu’elle ne la pratique.

— Tu parles avec la franchise de la jeunesse ; mais les hommes, ma fille, ont le tort de séparer leurs actes publics de l’effrayante responsabilité de leurs actes privés : comme si Dieu, en douant leur être de raison et des glorieuses espérances du christianisme, les avait aussi doués de deux âmes, dont une seulement serait digne de leurs soins !

— N’y a-t-il pas des personnes, mon père, qui pensent que, tandis que le mal que nous commettons individuellement retombe sur nous, celui qui est commis par l’État retombe sur la nation ?

— L’orgueil de la raison humaine a inventé diverses subtilités pour satisfaire ses passions ; mais il ne peut jamais se nourrir d’une illusion plus fatale que celle-ci. Le criminel qui entraîne l’innocent dans sa faute et dans les conséquences qui en dérivent, est doublement criminel ; et quoique ce soit une des propriétés du péché de porter son châtiment avec lui, même dans cette vie, celui qui pense que la grandeur du crime sera son excuse conçoit une vaine espérance. La principale sécurité de notre nature consiste à éviter les tentations, et l’homme qui est le plus à l’abri des fautes du monde est celui qui est le plus éloigné de ses vices. Quoique je désirasse que justice fût rendue au noble Napolitain, je pense en même temps que c’est peut-être pour son bonheur éternel que les nouveaux biens qu’il cherche lui seront refusés.

— Il m’est difficile de croire, mon père, qu’un cavalier qui n’a point hésité à secourir les malheureux puisse abuser des dons de la fortune.

Le carme jeta un regard inquiet sur les beaux traits de la jeune Vénitienne. Il y avait dans ce regard une sollicitude paternelle