Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/68

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est ton rival. Sa conduite sur le Giudecca a gagné le cœur d’une jeune fille dont l’esprit est aussi ardent que généreux. Ne connaissant point le caractère de l’inconnu, son imagination y supplée et le doue de toutes les qualités.

— Je voudrais qu’elle en fît de même à mon égard !

— À ton égard, mauvais sujet, ma pupille a plutôt besoin d’oublier que d’inventer. T’es-tu souvenu d’attirer l’attention du conseil sur le danger qui menace l’héritière ?

— Oui, mon père.

— Et par quel moyen ?

— Le plus simple et le plus certain… la gueule du lion.

— Ah ! c’est une entreprise hardie.

— Et comme toutes les entreprises hardies, elle n’en a que plus de chances de réussir. La fortune m’a enfin favorisé, et j’ai donné comme preuve le cachet du Napolitain.

— Giacomo ! connais-tu le danger de ta témérité ? J’espère qu’on ne reconnaîtra pas la main qui a écrit le billet, et que tu n’as pas mis d’imprudence dans la manière de te procurer la bague ?

— Mon père, bien que j’aie pu négliger vos avis dans des circonstances moins importantes, je n’ai point oublié ceux qui touchent à la politique de Venise. Le Napolitain est accusé ; et si le conseil dont tu fais partie est fidèle, il sera surveillé de près, sinon banni.

— Le conseil des Trois fera son devoir ; il n’y a pas à en douter. Je voudrais être aussi certain que ton zèle inconsidéré ne nous exposera pas à quelque désagrément.

Le fils éhonté regarda son père d’un air de doute pendant un instant ; puis il passa dans un autre appartement avec gaieté, trop habitué aux intrigues pour traiter celle-ci sérieusement. Le sénateur resta seul. Sa marche silencieuse était évidemment troublée par une grande inquiétude ; il passait souvent la main sur son front tandis qu’il réfléchissait. Dans ce moment une figure glissa le long des antichambres et s’arrêta devant la porte de l’appartement du sénateur. C’était un homme âgé ; son visage était bruni par le soleil, et ses cheveux éclaircis et blanchis par le temps. Il portait les habits d’un pêcheur ; ils étaient pauvres et d’une étoffe grossière. Cependant il y avait dans ses yeux et sur ses traits prononcés une noble intelligence, tandis que ses bras et ses