sur nos canaux. Ainsi la justice du dernier décret fait le sujet de la conversation de tous les masques, cette nuit ?
— Signore, les Vénitiens sont hardis lorsqu’ils ont l’occasion de flatter leurs maîtres.
— Le penses-tu réellement, Jacopo ? Il me semble à moi qu’ils sont beaucoup plus prompts à faire entendre leurs mécontentements séditieux ; mais c’est la nature de l’homme, d’être avare de louanges et prodigue de censure. Ce décret du tribunal ne doit pas mourir avec la seule gloire d’être juste : nos amis devraient en parler ouvertement, dans les cafés, sur le Lido ; ils n’ont pas à craindre de donner à leurs discours un peu de latitude. Un gouvernement juste n’est point jaloux des commentaires.
— C’est vrai, Signore.
— Je te charge, ainsi que tes amis, de prendre soin que l’affaire ne soit pas trop promptement oubliée. Le souvenir d’actes comme celui-ci fera germer la semence paresseuse de la vertu dans l’esprit public. Celui qui a constamment des exemples d’équité devant les yeux finit par aimer cette vertu. Le Génois, je l’imagine, partira satisfait ?
— Sans aucun doute, Signore ; il a tout ce qui peut satisfaire un homme offensé : il retrouve avec usure ce qu’il avait perdu, et il est vengé de ceux qui avaient eu des torts envers lui.
— Tel est le jugement : une ample restitution et le châtiment du coupable. Peu de républiques rendraient ainsi un jugement contre elles-mêmes, Jacopo.
— La république est-elle responsable des actions du marchand, Signore ?
— Par l’entremise de ses citoyens. Celui qui inflige une punition à ses propres membres souffre certainement. On ne peut se séparer d’une partie de sa chair sans douleur, n’est-il pas vrai ?
— Il y a des nerfs qui sont délicats au toucher, Signore, et un œil ou une dent sont précieux ; mais se couper un ongle ou se raser la barbe, c’est peu de chose, et cela ne fait point de mal.
— Une personne qui ne te connaîtrait pas te croirait dans les intérêts de l’empereur, Jacopo ! Un moineau ne tombe pas à Venise sans que sa chute touche le cœur paternel du sénat. Eh bien ! y a-t-il encore de la rumeur parmi les juifs sur la diminution de l’or ? Les sequins ne sont pas aussi abondants que par