Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/95

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sur les côtes de la mer. J’ai rencontré une ancienne connaissance sur la Piazzetta au moment où les masques commençaient à s’y rendre, et nous avons eu un entretien à ce sujet. Selon lui, cinquante hommes sur cent à Venise reçoivent un salaire pour aller rapporter ce que font les cinquante autres. C’est une pitié, Roderigo, qu’avec un amour apparent de la justice le sénat laisse en liberté tant de coquins ; des hommes dont le visage seul ferait rougir des pierres, de honte et de colère.

— Je ne savais pas que de tels hommes se montrassent ouvertement à Venise. Ce qui est fait secrètement peut rester impuni pendant quelque temps, parce qu’il est difficile de le prouver, mais…

— Cospetto ! on m’a dit que les conseils avaient un moyen très-prompt de faire payer à un coupable les fautes qu’il avait commises. Cependant il y a le mécréant Jacopo… Qu’est-ce que tu as, mon garçon ? L’ancre sur laquelle tu t’appuies n’est pas un fer chaud.

— Elle n’est pas non plus de plumes. Les os qui s’appuient sur elle peuvent faire mal sans que cela l’offense, j’espère.

— Le fer est de l’île d’Elbe ; il fut forgé par un volcan. Ce Jacopo est un homme qui ne devrait pas être libre dans une ville honnête ; cependant on le voit se promenant dans la place avec autant d’assurance qu’un noble dans le Broglio

— Je ne le connais pas.

— Ne pas connaître la main la plus hardie et le stylet le plus sûr de Venise ! honnête Roderigo, c’est faire ton éloge. Mais il est bien connu parmi nous sur le port, et nous ne le voyons jamais sans penser à nos péchés et faire un acte de contrition. Je m’étonne que les inquisiteurs ne le donnent pas au diable, dans quelque cérémonie publique, pour l’avantage de ceux qui n’ont que de légers péchés à se reprocher.

— Ses crimes sont-ils si notoires qu’on puisse prononcer sur son sort sans avoir de preuves ?

— Va faire cette question dans les rues ! Pas un chrétien ne perd la vie à Venise (et le nombre n’en est pas mince, sans compter ceux qui meurent des fièvres d’État[1]), que l’on ne pense que la

  1. Sans doute par les mains de la justice.