Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Par la messe, mon père, il semble à un simple soldat qu’il aurait mieux valu qu’il épousât honnêtement la nonne que de donner ce scandale à Duerckheim, et de détruire la paix des familles dans les belles plaines du Palatinat. Si le frère Luther n’a fait que ce que tu viens de dire, il s’est moqué fort joliment de Satan, comme le fit anciennement ta communauté, lorsque, ayant fait construire son église par le diable, et sans avoir égard aux obligations d’un débiteur, elle le renvoya sans le sou.

— Si l’on pouvait lire au fond de ton cœur, Emich, on y verrait peut-être que tu crois à cette sotte légende.

— Si tu n’as pas vaincu le démon, abbé, c’est que par prudence il n’a fait aucun marché avec ceux qui, à sa connaissance, le surpassent en finesse. Par la croix ! ce serait un grand téméraire que celui qui voudrait jouer au fin avec les moines de Limbourg.

Le dédain empêcha l’abbé de répondre, car il était trop supérieur aux traditions vulgaires pour ressentir aucune colère, même en répondant à une imputation de ce genre.

Son hôte s’apercevait qu’il perdait du terrain ; il sentait peu à peu ses forces l’abandonner, et commençait à craindre de se voir ravir l’important contrat. L’abbé avait la réputation bien méritée de posséder la meilleure tête de tous les ecclésiastiques du Palatinat ; et le comte Emich, qui ne manquait pas de mérite en ce genre, sentait approcher cette espèce de faiblesse qui est souvent l’avant-coureur de la défaite. Il avalait rasade sur rasade, éprouvant un désir impatient de vaincre son antagoniste, sans penser au tort qu’il se faisait à lui-même. Boniface, qui avait la conscience de sa supériorité, aidait volontiers son adversaire dans son désir fiévreux d’arriver à l’issue de cette lutte ; et ils vidèrent l’un et l’autre plusieurs coupes, semblant se défier d’un air sombre et n’échangeant pas une parole. À ce moment fatal, le comte tourna ses yeux égarés vers son forestier, avec une vague espérance que celui qui l’avait servi jusqu’alors si fidèlement pourrait l’aider dans un moment désespéré.

Le jeune Berchthold Hintermayer était debout près de son seigneur, attendant respectueusement ses ordres, car l’habitude l’empêchait de sortir sans qu’on le lui eût commandé. Il en avait entendu assez sur cette lutte singulière pour avoir deviné quels devaient en être les résultats. Il parut comprendre cet appel, et s’avança pour faire le service d’échanson, charge qui demandait