Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/319

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Pendant la lente marche de la longue ligne de moines qui approchaient alors de la petite chapelle, des chants se faisaient entendre, accompagnés par les sons étouffés de l’orgue. Albrecht lui-même et M. Latouche éprouvaient une vive émotion, et Emich tremblait évidemment comme un homme qui s’était livré sans réflexion entre les mains de ses ennemis.

La tête de la procession passa bientôt d’un pas mesuré devant les pèlerins. Le prieur et les femmes n’en prièrent qu’avec plus de ferveur ; mais ni le comte ni le bourgmestre ne purent s’empêcher de jeter un regard furtif sur les mouvements des moines. Dietrich, peu stylé encore à son rôle, se leva tout à fait et se tint debout, faisant de profonds saluts à chaque frère à mesure qu’il passait. Quand presque toute la colonne eut défilé, Emich chercha à rencontrer les regards de l’abbé, espérant échanger avec lui un de ces signes secrets de courtoisie par lesquels les initiés, dans toutes les classes de la société, savent exprimer leurs sympathies. Mais à sa confusion, et en même temps avec un léger sentiment d’inquiétude, ce fut sur les traits bien connus de Boniface que ses yeux s’arrêtèrent. Il était à côté du dignitaire qui dirigeait la communauté d’Einsiedlen. Les regards que se lancèrent ces anciens rivaux, qui semblaient irréconciliables, furent tels qu’on devait s’y attendre. Celui de Boniface exprimait une joie orgueilleuse, quoique à la satisfaction de la vengeance se mêlât aussi le souvenir de la défaite ; tandis que sur les traits d’Emich se peignaient tout à la fois la fierté, la mortification et l’inquiétude.

Mais la procession avançait toujours, et bientôt la musique annonça qu’elle était arrivée dans le chœur. Alors Arnolph se leva de nouveau, et, suivi de tous les pèlerins, il s’approcha pour entendre les vêpres. Après les prières, l’hymne d’usage fut chanté.

Himmel ! vénérable frère pèlerin, dit tout bas le forgeron au bourgmestre, voilà une voix qui est connue de tout Duerckheim.

— Hem ! dit Heinrich, qui cherchait à rencontrer le regard d’Emich. — Les chants de ces bénédictins se ressemblent beaucoup, noble comte, soit qu’ils se fassent entendre dans la chapelle de Limbourg, ou bien ici, dans celle de Notre-Dame-des-Ermites.