Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ordonnent les lois, que dans le reste de l’Empire. Vous savez que nous sommes d’une race allemande, bien enracinée dans les préjugés.

Le baron de Willading avait été habitué à une grande déférence pour l’esprit supérieur et cultivé de sa fille, qui, dans la solitude du château de ses pères, avait lu et réfléchi beaucoup plus que si elle eût vécu dans le grand monde. Il sentit la justesse de ses remarques, et ils parcoururent toute la longueur de la terrasse dans un profond silence, avant qu’il pût rassembler toutes ses idées pour lui faire une réponse convenable.

— On ne peut nier la vérité de ce que tu dis, répondit-il enfin ; mais on peut remédier au mal. J’ai bien des amis dans les cours d’Allemagne ; on peut obtenir des faveurs, des lettres de noblesse enfin pour le jeune homme, après quoi il pourra demander ta main sans craindre les remarques des habitants de Berne ou des villes voisines.

— Je doute que Sigismond veuille nous seconder dans ce plan. Notre noblesse est d’ancienne origine ; elle date d’une époque antérieure à l’existence de Berne comme ville, et elle est beaucoup plus vieille que nos institutions. Je me rappelle lui avoir entendu dire que, lorsqu’une ville refuse ses distinctions, ses citoyens ne peuvent les recevoir d’autres États sans perdre la dignité de leur caractère, et un homme dont la morale est si sévère peut hésiter à faire ce qui lui semble une bassesse, pour obtenir une aussi faible récompense que celle que nous lui offrons.

— Par l’âme de Guillaume Tell ! est-ce que ce paysan inconnu oserait ?… Mais c’est un brave garçon, et il a rendu deux fois le service le plus important à ma famille. Je l’aime, Adelheid, presque autant que toi, et nous lui ferons peu à peu goûter nos projets. Une fille de ton âge et aussi belle que tu l’es, pour ne rien dire de tes autres qualités, de ton nom, de ta fortune, ne peut pas être légèrement refusée par un soldat inconnu qui n’a rien.

— Mais son courage, ses vertus, sa modestie, son excellent esprit, mon père !

— Tu ne veux pas me laisser la satisfaction de vanter ma propre marchandise ! Je vois Gaëtano qui me fait des signes à la fenêtre, comme s’il allait venir à nous. Retourne dans ton appartement, afin que je puisse causer de cette affaire difficile avec mon excellent ami ; je te ferai connaître le résultat de notre conversation.