Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/144

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Le jeune homme la regarda d’un air incrédule ; puis, lorsque ses pensées s’éclaircirent, il la contempla comme un objet adoré qu’on est sur le point de perdre. Il secoua la tête tristement, et cacha son visage dans ses mains.

— Ne dis rien de plus, Adelheid, — pour toi, pour moi, par pitié, garde le silence ! — Tu ne peux jamais être à moi. — Non, non ; — l’honneur le défend. — Ton consentement serait de la folie, le mien me déshonorerait, — nous ne pouvons jamais être unis. Quelle fatale faiblesse m’a retenu si longtemps près de toi ? — J’ai souvent redouté ce moment.

— Redouté, Sigismond ?

— Ne répète point mes paroles, car je sais à peine ce que je dis. Toi et ton père, vous avez cédé, dans un moment de gratitude, à une noble impulsion ; mais je ne dois pas profiter de l’incident qui m’accorde cet avantage. Que diraient toutes les personnes de ta famille, tous les habitants de Berne, si Adelheid, la plus noble, la plus belle, la meilleure des filles du canton, épousait un soldat de fortune sans naissance, qui n’a pour lui que son épée et quelques dons de la nature ? Ton excellent père, en y réfléchissant mieux, ne pourrait certainement y consentir : n’en parlons plus.

— Si j’écoutais les sentiments ordinaires de mon sexe, Sigismond, cette répugnance à accepter ce que mon père et moi nous vous offrons, me porterait au moins à feindre le mécontentement. Mais, entre vous et moi, il n’y aura que la sainte vérité. Mon père a pesé toutes ces objections, et il y a généreusement renoncé. Quant à moi, elles ne peuvent avoir aucun poids sur mon esprit, puisqu’elles sont contre-balancées par tes vertus. Si tu ne peux pas devenir noble pour être mon égal, je trouverai plus de bonheur à descendre à ton niveau qu’à vivre sans toi parmi les grandeurs où le sort seul m’a placée.

— Que le ciel bénisse ta bonté ! Mais tant de générosité est vaine, notre mariage est impossible.

— Si tu connais quelque obstacle qui le rende en effet impossible pour une fille faible, mais vertueuse.

— Assez, Adelheid ; ne finis pas cette sentence de mort. Je suis assez humilié sans d’aussi cruels soupçons.

— Pourquoi donc notre union est-elle impossible, lorsque mon père non seulement y consent, mais désire qu’elle ait lieu ?

— Donne-moi le temps de réfléchir. Tu sauras tout, Adelheid.