Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/146

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— Je ne puis en choisir un autre. Oui, disgrâce honteuse, par le commun consentement des hommes, par une opinion longtemps éprouvée, et il semblerait presque par le jugement de Dieu. Ne croyez-vous pas, Adelheid, que certaines races paraissent maudites, pour répondre à quelque grande fin inconnue ; des races sur lesquelles la sainte bénédiction du ciel ne descend jamais comme elle descend sur d’humbles familles ?

— Comment pourrais-je croire qu’une aussi affreuse injustice émane d’un Dieu dont la sagesse n’a point de bornes, dont l’amour est celui d’un père ?

— Ta réponse serait juste si ce pays était l’univers ; mais celui dont la vue s’étend au-delà du tombeau, dont la justice, la miséricorde, la bonté, sont incommensurables comme ses autres attributs, et non pas en rapport avec nos faibles moyens, ne peut être jugé d’après les règles étroites que nous appliquons aux hommes. Nous ne devons pas mesurer les ordonnances de Dieu par des lois qui sont plausibles à nos yeux. La justice est une vertu relative, et non pas abstraite ; et jusqu’à ce que nous comprenions les rapports de la Divinité envers nous, comme nous comprenons nos relations envers la Divinité, nous raisonnerons dans les ténèbres.

— Je n’aime point à vous entendre parler ainsi, Sigismond, et surtout avec un regard si sombre et une voix si triste.

— Je vais vous raconter mes malheurs avec plus de calme, ma bien-aimée, car je n’ai pas le droit de vous faire partager ma misère ; et cependant c’est là la manière dont j’ai raisonné, pensé, agi, jusqu’à ce que mon cœur se fût rempli de votre image, et que ma raison m’eût presque abandonné. Oui, depuis l’heure maudite où la vérité me fut connue, où je fus maître du fatal secret, j’ai essayé de sentir et de raisonner ainsi.

— Quelle vérité ? quel secret ? Si vous m’aimez, Sigismond, parlez avec calme et sans réserve.

Le jeune homme contempla encore une fois le visage altéré d’Adelheid, avec une expression qui prouvait combien il regrettait profondément le coup qu’il allait porter ; puis, après un moment de silence, il continua.

— Nous venons de traverser ensemble une horrible scène, chère Adelheid, une scène qui doit rapprocher entre nous les distances posées par les lois humaines et la tyrannie de l’opinion. Si par la volonté de Dieu la barque eût péri, quelle confusion d’êtres mal