Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/160

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opposer au travail constant de ses pensées, car la sphère dans laquelle vivent les femmes, rend leurs affections dépendantes de tous les petits incidents de la vie domestique. Elle ne pouvait pas fermer sa porte aux parents de son mari, si un jour il désirait les voir, et il devenait pour elle obligatoire d’accomplir tous ses nouveaux devoirs, et d’oublier qu’elle était née pour de plus belles espérances.

Nous ne prétendons pas que tous ces calculs traversèrent l’esprit de la pauvre fille, quoiqu’elle entrevît confusément toutes les conséquences d’une union si disproportionnée. Longtemps après que Sigismond l’eût quittée, elle resta assise, sans mouvement, perdue dans la profondeur de ses pensées. Le jeune homme avait passé la poterne du château, et descendait la montagne, à travers de belles prairies, d’un pas rapide ; et probablement pour la première fois depuis leur liaison, Adelheid le suivait d’un regard vague et indifférent.

Son esprit était trop profondément occupé pour laisser à ses sens leur observation habituelle. Tout ce grand et charmant paysage, auquel nous avons souvent fait allusion, était étendu devant elle, sans apporter avec lui les mêmes impressions ; elle le regardait comme on regarde la voûte du firmament, lorsque, les yeux élevés vers le ciel, on rêve à des objets terrestres. Sigismond avait disparu parmi les murailles qui entourent les vignes, lorsqu’elle se leva, et sortit de sa pénible méditation par un soupir. Les yeux de la jeune fille étaient brillants, et ses joues couvertes de rougeur, tandis que tous ses traits portaient une expression de beauté plus élevée encore que celle qui lui était habituelle. Sa résolution était arrêtée. Elle s’était décidée avec le rare et généreux dévoûment d’une femme qui aime, et qui ne peut aimer qu’une fois avec cette fraîcheur et cette pureté. À cet instant des pas se firent entendre dans le corridor, et les trois vieux seigneurs que nous avons laissés sur la terrasse du château, parurent ensemble dans la salle des Chevaliers.

Melchior de Willading s’approcha de sa fille d’un air joyeux, car lui-même aussi venait de remporter une glorieuse victoire sur ses préjugés, et cette conquête le mettait d’une excellente humeur avec lui-même.

— La question est décidée, dit-il en déposant un baiser affectueux sur le front brûlant d’Adelheid, et en se frottant les mains avec la satisfaction d’un homme qui vient de sortir d’une grande anxiété.